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Dieu le frappant le fit tomber et périr dans sa chute. Durant la réaction zoroastrienne, il est probable que les prêtres du Soleil, c’est-à-dire de Mithra, ont poursuivi de la sorte un homme qui pouvait être confondu par eux avec les chrétiens. Mais un chef d’école qui se donnait le titre de bouddha n’invoquait certainement pas les « démons de l’air. »

Quoi qu’il en soit, cette veuve, ayant en sa possession les livres traditionnels d’Elkesai et de Térébinthe le bouddha, les garda pieusement jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un homme à qui elle en pût confier le dépôt. Ce fut, dit Cyrille, un esclave nommé Curbicus, qu’elle adopta et fit instruire dans les dogmes persans. Elle morte, ce Curbicus prit le nom de Manès et la secte reçut de lui le nom de manichéens.

Je suis entré dans ces menus détails pour montrer que la secte des manichéens procédait des esséniens de Galilée, de même que les esséniens procédaient du bouddhisme. Il y avait donc une parenté d’origine entre les manichéens et les chrétiens. Ceux-ci jouèrent sur le mot Manès, qui en latin signifie les ombres des morts et rappelle le mot « mania, » nom grec de la folie. Si Manès et Manichée sont des mots indo-iraniens, ils paraissent signifier « le Sage » (en sanscrit manishin) et être synonymes de bouddha. On a dit que Manès prenait aussi le titre de Paraclet, se donnant pour l’esprit consolateur dont le Christ avait annoncé la venue. Nous ne connaissons les détails de sa vie que par Cyrille et Épiphane ; mais ces deux auteurs les avaient empruntés à Archélaus, évêque de Caschara, qui avait été en discussion vive avec Manès ; c’était un témoin suspect. Cyrille ajoute que Manès avoit soulevé la fureur du peuple et fuyait, lorsque le roi de Perse (Bârham Ier) le fit saisir par ses satellites, puis écorcher vif ; son corps fut livré aux bêtes ; sa peau fut gonflée d’air et suspendue aux portes comme une outre. L’empereur Valérien avait eu un sort pareil.

Le premier et principal dogme de Manès fut celui des deux principes, le bon et le mauvais. En cela, il était d’accord avec les bouddhistes, les Perses et les chrétiens. Mais il faisait remonter la lutte à l’origine des choses et n’admettait pas que le monde eût été fait de rien. Selon lui, une matière éternelle avait été mise en œuvre par le bon principe et lui était constamment disputée par le mauvais. Le monde était ainsi tombé sous l’empire du mal ; le rétablissement des choses était procuré par le Christ, c’est-à-dire par l’essence divine infuse dans les créatures. Avec le temps, la victoire du bien devait être complète, toutes choses devaient être purifiées. Cette dernière doctrine est précisément celle de Zoroastre, concernant la victoire finale d’Ormuzd sur Ahriman. C’est aussi celle