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dont ils ont fait un brahmane ; ces auteurs mêlaient brahmanes et bouddhistes, à peu près comme si nous confondions les juifs et les chrétiens. En-Nedim, auteur arabe, donne sur Scythianus des renseignemens d’où résulte son identité avec Elkesai, qui fonda la secte des mandéens et qui vivait à la fin du 1er siècle, peu après les apôtres. Cet Elkesai, d’origine incertaine, fut élevé dans le nord de l’Arabie, au contact de la basse Mésopotamie, puis vint à Alexandrie, où il étudia les livres des pythagoriciens, fit le commerce avec l’Inde et acquit de grandes richesses. Il composa quatre livres, dont Cyrille nous donne les titres ; le quatrième était le Trésor. D’Egypte, où il s’était fait de nombreux disciples, il vint à Jérusalem et y professa la doctrine des deux Principes. En Judée, il rencontra les esséniens de Palestine ou nazaréens, auprès desquels il jouit d’une autorité acceptée.

Scythianus était un surnom qui lui fut donné sans doute par suite de ses relations avec la Scythie ; ce pays touchait à l’Inde et à l’empire des Pannes. Kanishka, promoteur du quatrième concile bouddhique, était mort en 40 avant Jésus-Christ. De ce pays, Elkesai avait rapporté un livre qu’il avait reçu de Sera, capitale du pays de la soie, c’est-à dire du nord-ouest de la Chine, au voisinage du Tibet. — Quant aux mandéens ou gnostiques de Mésopotamie, ils dérivaient ce nom mystique de manda, la Parole ; mais leur nom public était saba, sabéens ; leur livre était le Ginsa ou Trésor. L’ange qui avait révélé ce livre s’était incarné du Saint-Esprit dans le sein d’une vierge. Au XIIIe siècle, Marco-Polo trouva encore le livre du Trésor en grande vénération dans l’Asie centrale. Les sabéens pratiquaient le baptême dans l’eau et se disaient disciples de Jean-Baptiste. Leur fondateur n’était donc point brahmane, il était essénien. Saint Hippolyte, au milieu du IIIe siècle, atteste l’existence d’elkésaïtes à Rome. On les appelait tantôt mogtasilah, mot qui veut dire baigneurs, tantôt samans, c’est-à-dire çramanas ou ascètes bouddhistes. Mais le nom qui bientôt prévalut fut celui des manichéens.

Le successeur immédiat du Scythien nous est également connu par saint Cyrille, qui le nomme Térébinthe ; ce nom n’a sans doute rien de commun avec celui du pistachier ; la forme en est persane. Héritier de l’or, des livres et des doctrines d’Elkesai, Térébinthe ne put séjourner en Judée, où il dut se trouver en lutte avec le judaïsme. Il passa en Perse et y prit le nom de Bouddha. Ce que Cyrille ajoute n’est point invraisemblable : il dit que Térébinthe y eut pour adversaire les prêtres du Soleil ; mais il ajoute que, poursuivi par eux, il se réfugia chez une certaine veuve ; que, monté sur la maison de cette femme, il invoquait les démons de l’air, lorsque