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bien-aimé Ananda lui demanda comment il fallait traiter les femmes, si quelqu’une se présentait aux religieux : « Si elle est jeune, répondit Çâkyamouni, vous lui direz ma sœur ; si elle est vieille, vous lui direz ma mère. » Ainsi cet amour suprême, universel et pur, qu’on appelle la charité, comprenait tous les membres de l’Assemblée, quelque fût leur sexe ou leur âge. Il s’étendait même à tous les hommes. En effet, avant de prêcher sa doctrine, le Bouddha eut un moment d’hésitation. Un des grands brahmâs descendit vers lui et lui dit que, possédant les quatre vérités sublimes, il n’avait pas le droit de les retenir pour lui seul, et qu’il devait les communiquer à tout le genre humain. Çâkya dirigea sa pensée vers les quatre régions de la terre, vit en effet que partout les hommes ignoraient ces vérités salutaires, et commença aussitôt son enseignement.

L’enseignement direct du maître, qui dura près de cinquante ans, ne sortit pas de la contrée où il était né, de cette partie moyenne de la vallée du Gange, signalée par les historiens d’Alexandre, et qui s’étend autour de Bénarès. Mais il fut secondé par des hommes supérieurs, entre lesquels on distinguait le grand Çâriputra, Maudgalyâyana, Ananda. Il chargea soixante et un disciples éprouvés d’aller dans toutes les directions enseigner la Loi nouvelle aux peuples de l’Inde, y grouper les gens de bonne volonté autour de la formule « le Bouddha, la Loi, l’Assemblée, » et créer ainsi des églises locales, des communautés dépendantes de la communauté centrale que lui-même présidait.


II

Depuis la mort de Çâkyamouni jusqu’au temps d’Alexandre le Grand, il s’écoula environ deux siècles. Pendant ce temps, le bouddhisme s’établit sur un grand nombre de points de la presqu’île indienne, principalement dans le nord. Mais il n’y devint pas la religion dominante. A l’arrivée des Grecs, les vallées de l’Indus et de ses affluens étaient occupées par les brahmanes. C’est la région que l’on nomme aujourd’hui Pandjâb, c’est-à-dire les Cinq-Fleuves ; c’est là que les chantres du Véda avaient composé la plupart de leurs hymnes et que s’était organisée, avec le système des castes, la société brahmanique. Les historiens d’Alexandre ne laissent aucun doute sur la prédominance de ce système social dans cette vaste et riche contrée ; A l’est des Cinq-Fleuves, on rencontre une belle rivière, la Saraswatî, souvent nommée dans le Véda ; elle descend de l’Himalaya et perd ses eaux vers le sud, dans les sables du désert. Puis on arrive à la Yamounâ et au Gange.

On était en l’année 325 avant- Jésus-Christ ; Alexandre ne