Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qui est, en ce moment, l’objet des terreurs de l’Europe fait précisément la consolation du vieux monarque. Ce qu’elle redoute le plus est ce qu’il désire avec le plus d’ardeur, ce qui relève ses espérances courbées sous tant d’infortunes, ce qui séduit le plus vivement son esprit toujours animé de vastes projets, malgré les dures leçons du passé. Il a consenti, pour mettre fin à la guerre, les plus coûteux sacrifices. Mais abandonner encore ce qui lui tient si fortement au cœur ; abolir ces lettres patentes qu’il a écrites et signées dans l’éclat de sa puissance et le délire de son orgueil, au mépris du testament de Charles II ; avouer ainsi qu’il a commis un acte coupable ; subir une si accablante humiliation aux yeux de tout son peuple, y pourra-t-il consentir ? C’est là ce que Harley et Saint-John se demandent avec une anxiété croissante.

Parcourons rapidement le glorieux écrit que le parlement avait enregistré, au mois de décembre 1700, non sans quelque inquiétude, mais non sans orgueil, et dans lequel les pieuses apparences d’une résignation mystique dissimulent assez mal les funestes conseils d’une ambition démesurée :

« Louis, par la grâce de Dieu, etc. Les prospérités dont il a plu à Dieu de nous combler… sont pour nous autant de motifs de nous appliquer, non-seulement pour le temps présent, mais encore pour l’avenir, au bonheur et à la tranquillité des peuples dont sa divine Providence nous a confié le gouvernement ; ses jugemens impénétrables nous laissent seulement Voir que nous ne devons établir notre confiance ni dans nos forces, ni dans l’étendue de nos états, ni dans une nombreuse postérité… Comme il veut que les rois qu’il choisit pour conduire ses peuples prévoient de loin les événemens,.. qu’ils se servent pour y remédier des lumières que sa divine sagesse répand sur eux, nous accomplissons ses desseins lorsque, au milieu des réjouissances universelles de notre royaume, nous envisageons, comme une chose horrible, un triste avenir que nous prions Dieu de détourner à jamais. En même temps que nous acceptons le testament du feu roi d’Espagne, que notre très cher et très aimé fils le dauphin renonce à ses droits légitimes sur cette couronne en faveur de son second fils, le duc d’Anjou,.. institué par le feu roi d’Espagne son héritier universel,.. ce grand événement ne nous empêche pas de porter nos vues au-delà du temps présent… Persuadé que le roi d’Espagne, notre petit-fils, conservera toujours pour nous, pour sa maison, pour le royaume où il est né, la même tendresse et les mêmes sentimens ; .. que son exemple, unissant ses nouveaux sujets aux nôtres, va former entre eux une amitié perpétuelle et la correspondance la plus parfaite, nous croirions aussi lui faire une injustice dont nous sommes incapable et causer un préjudice irréparable à notre royaume, si nous regardions