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le vieux roi trouvait en lui beaucoup de traits de sa nature, et d’ailleurs Bethsabée, dont l’entrée dans le harem avait été irrégulière, peut-être criminelle, exerçait le plus grand ascendant sur l’esprit de son mari. La tenue de Salomon était assez correcte. Il n’en était pas de même de celle d’Adoniah, fils de Haggit, l’aîné après Absalom et très bel homme avec cela, qui affectait tous des airs d’Absalom, sauf la révolte. C’était le personnage à la mode, le jeune premier de Jérusalem ; or la haute nouveauté du moment était le luxe des chevaux. Adoniah avait un char, des cavaliers, des coureurs, qui écartaient la foule devant lui ; et il disait sans cesse : « Je veux être roi. » Son père ne le reprenait pas comme il l’aurait dû. Adoniah ourdit son complot avec Joab et Abiathar. Mais Sadok, Benaïah, Le prophète Nathan et la plupart des gibborim n’étaient pas avec lui.

Sans attendre la mort du roi, Adoniah voulut se faire proclamer, et, à l’insu de David, il fit préparer un grand festin dans les jardins qui étaient au sud de Jérusalem, à la jonction des deux vallées, près de la roche de Zohélet et de la fontaine du Foulon. La vallée était pleine des bœufs, des veaux, des moutons égorgés. Adoniah invita ses frères, excepté Salomon, et les Judaïtes officiers du roi ; mais il n’invita ni Benaïah, ni les gibborim, ni Nathan. On criait déjà : « vive le roi Adoniah ! »

Nathan prévint Bethsabée, qui entra sur-le-champ dans la chambre où le roi était seul avec Abisag. Bethsabée se plaignit amèrement de la faiblesse du roi, qui laissait tout faire, et lui demanda de désigner officiellement son successeur. Nathan insista dans le même sens.

Le vieux roi prit son parti. Il réunit Sadok, Nathan, Benaïah et les Kréli-Pléti, fit monter Salomon sur sa mule, et ordonna de le mener solennellement de la hauteur de Sion au Gihon, c’est-à-dire à la source qui était à l’orient de la ville, versant ses eaux dans le Cédron[1]. Là eut lieu le sacre. Nathan oignit Salomon comme roi d’Israël ; les trompettes sonnèrent ; on cria : « vive le roi Salomon ! » Tout le peuple répéta ce cri. Puis on remonta au palais de Sion ; le peuple suivait le cortège, au son des fifres. On entra dans le palais ; Salomon s’assit sur le trône de David. David, étendu sur son lit, faisait des signes d’assentiment. Salomon reçut l’hommage des Kréti-Pléti et des Kréti-Pléti du palais. La joie était extrême ; une immense clameur retentissait à l’entour.

Adoniah et ses invités achevaient, en ce moment, leur festin à un quart de lieue de là. Joab, qui était avec eux, entendit le son de

  1. Ce qu’on appelle aujourd’hui la Fontaine de la Vierge.