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armées. Ils eurent cependant une fortune singulière. Plus rapprochés de la côte, et plus connus des Grecs que les Israélites, ils donnèrent leur nom au pays ; la terre d’Israël fut désignée dans le monde sous le nom de terre des Philistins, Palestine.

Il est rare qu’une grande influence exercée par une nation sur une autre ne laisse pas sa trace dans les mots. Beaucoup de mots philistins furent sans doute introduits dans l’hébreu, à l’époque de David. La langue des Philistins était un dialecte pélasgique, inclinant tantôt vers l’hellénique, tantôt vers le latin. Nous sommes portés à croire que c’est à cette influence profonde des Philistins sur Israël, vers mille ans avant Jésus-Christ, qu’il faut rapporter l’introduction en hébreu de ces mots d’apparence grecque et latine, désignant presque tous des choses militaires ou exotiques, qui se trouvent dans les textes les plus anciens.


IV

La lutte victorieuse contre les Philistins, et plus encore l’introduction dans l’armée israélite d’un élément considérable de mercenaires philistins, donnèrent à cette armée une force qu’elle n’avait jamais eue jusque-là. Aguerries par de tels adversaires, et renforcées d’auxiliaires qui leur apportaient les qualités d’une autre race, les bandes de David eurent sur toutes les petites nations voisines du pays de Chanaan une supériorité incontestée. Les Moabites, les Ammonites, les Édomites le sentirent cruellement. Les guerres de David avec ces peuplades eurent un caractère fort différent des campagnes contre les Philistins. Celles-ci ont quelque chose d’épique et de chevaleresque. Ce sont des luttes de héros jeunes, fiers, animés d’un même mépris de la vie. Les guerres contre les autres tribus sémitiques sont d’une atroce férocité. Avec les Philistins, David est un Ulysse ou un Diomède, usant de toutes ses supériorités contre l’ennemi, mais traitant l’ennemi on égal. Avec les autres tribus hébraïques, c’est un Agathocle, faisant de la cruauté un moyen de pression. Ces guerres de Peaux-Rouges sont racontées par le narrateur contemporain avec une horrible impassibilité. Un peuple vaincu était alors un dieu vaincu ; pour lui, il n’y avait point de pitié.

On ignore le grief que David avait contre Moab, pays dont il semble qu’il était originaire par un côté de sa généalogie, et auquel, dans la première période de sa vie, il avait demandé un service essentiel. La guerre contre Moab laissa des souvenirs, dont la part principale, savoir l’anecdote obscure des Ariel de Moab, se rattachait à Benaïah, fils de Joïada. David agit envers une population qui lui était si proche parente avec une cruauté épouvantable. On fit coucher tous les Moabites à terre, sur une même ligne ; on les