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prépondérance dans les Balkans, et il aurait déjà mis, dit-on, toute son habileté à convertir l’Autriche au plan dont il poursuit la réalisation. Le chancelier, toujours dans l’intérêt de la paix, veut absolument enlever à la France la tentation de croire à une alliance qui, à la vérité, n’existe pas, mais qui pourrait exister dans certaines circonstances. M. de Bismarck se flatte de réussir à Saint-Pétersbourg. Cela fait, il aurait achevé son œuvre et dignement inauguré le règne de son jeune empereur. Il aurait réduit la France à un isolement complet, en la plaçant, comme on disait autrefois, entre une faiblesse et une folie. C’est fort bien, et la France est du moins avertie. Seulement, sans parler de notre pays, la Russie est-elle aussi intéressée que paraît le croire le chancelier de Berlin à se faire la complice de la suprématie de l’Allemagne en Europe ? Ce qui pourra désarmer la Russie sera-t-il de nature à satisfaire l’Autriche, et l’Italie se trouver a-t-elle très flattée de disparaître sans profit dans ces vastes combinaisons nouées entre plus puissans qu’elle ? L’Angleterre, à son tour n’aura-t-elle rien à dire ? C’est assurément une situation curieuse, que M. de Bismarck semble vouloir créer. Il resterait à savoir si au lieu d’assurer la paix, comme il le dit, il ne la rend pas tout simplement impossible, si avec toute son habileté à manier et à remanier l’Europe, il ne s’expose pas à la fatiguer, à l’excéder, en lui faisant par trop sentir le poids d’une prépondérance embarrassée d’elle-même.

Sous une forme ou sous l’autre, partout est engagée la lutte des ambitions ou des passions ; elle est entre les partis qui se disputent le gouvernement d’un pays comme entre les influences qui se disputent la domination de l’Europe, — et sur le plus petit théâtre comme sur le plus grand, la lutte a son intérêt, ses alternatives, ses péripéties, qui ne sont point heureusement toujours tragiques. La Belgique, sans être mêlée aux affaires du monde, aux grands conflits d’influences, la Belgique, elle aussi, ne laisse pas d’avoir ses mouvemens intérieurs, ses luttes d’opinions. Elle vient d’avoir, ces dernières semaines, ses élections, qui ont été, comme elles sont toujours, fort animées, où une fois de plus conservateurs et libéraux se sont retrouvés en présence devant les urnes pour vider leur éternelle querelle. Il y avait à renouveler la moitié de la chambre des représentans et la moitié du sénat. Les conservateurs ou catholiques ou cléricaux qui sont au pouvoir depuis 1884 avaient à défendre et à maintenir les avantages qu’ils ont dus aux dernières élections ; les libéraux avaient à regagner, s’ils le pouvaient, le terrain qu’ils ont perdu depuis quelques années, ils espéraient prendre leur revanche. Cette fois encore, ce sont les conservateurs qui ont eu l’avantage, qui ont gardé leurs positions et ont eu même quelques nouveaux succès. Pour le sénat comme pour la chambre des représentans, les catholiques sont demeurés maîtres du terrain. Dès le premier jour, la victoire se décidait pour eux. Il res-