Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autorité et sans force, » ni à la suppression du sénat, que M. Gambetta a appelé « l’ancre de salut de la république ! » Ils se rattachent fermement et résolument à la constitution telle qu’elle est. C’est fort bien ! Malheureusement, cette constitution si singulièrement menacée aujourd’hui, ce sont les républicains eux-mêmes, opportunistes ou radicaux, qui l’ont compromise par la manière dont ils l’ont pratiquée, par la hardiesse avec laquelle ils l’ont pliée à tous leurs caprices, par la politique qu’ils ont suivie. Ils prétendent encore aujourd’hui, et ils s’en vantent, qu’avec cette constitution ils ont pu réaliser une foule de progrès, qu’ils ont fondé les écoles, qu’ils ont fait les syndicats professionnels, qu’ils ont sillonné la France de chemins de fer. — Oui, sans doute, les républicains ont fait un certain nombre de ces belles choses, Ils ont violenté les croyances avec leurs écoles, ils ont épuisé les finances du pays avec leurs travaux, avec leurs prodigalités, — et c’est précisément ce qui a conduit à cette crise où la république est aussi menacée que la constitution. Prétendre se rattacher à la constitution de 1875 et reprendre ou continuer la politique qui en a préparé la ruine, c’est une manière de tout concilier qui ne concilie rien. C’est la contradiction d’hommes qui sont dans une situation fausse pour ne point oser avouer qu’ils se sont trompés, qu’ils ont commis des fautes.

Les républicains plus ou moins modérés veulent-ils se retrancher sur le terrain de la constitution et s’y défendre ? Soit, c’est peut-être encore un système ; mais alors ce qu’ils ont de mieux à faire, s’ils veulent être sérieux, c’est de s’éclairer d’une expérience meurtrière de dix ans, d’oser s’avouer qu’on ne fait pas de l’ordre avec du désordre, avec des alliances et des connivences radicales, qu’on ne guérit pas l’anarchie morale qui règne aujourd’hui avec de petits expédiens de parti ; le dernier moyen qu’ils aient, si c’est encore possible, est de se rallier hardiment, sans détour, à une politique de prévoyance, d’équité supérieure et de libérale modération, — la seule qui puisse ramener le pays à un état moins troublé, en lui rendant un peu de paix intérieure et la considération extérieure.

Les affaires du monde passent de nos jours par d’étranges péripéties, des péripéties de toute sorte, et les deuils royaux qui s’y mêlent, les changemens de règne qui se pressent, ne sont qu’une forme de plus de l’éternelle instabilité des choses. Depuis quelque temps, l’histoire de l’Allemagne n’est qu’une tragédie royale ou impériale, une tragédie d’autant plus saisissante, d’autant plus sérieuse, que, dans ces scènes lugubres de Berlin, de Charlottenbourg ou de Potsdam, sans oublier San-Remo, ce sont les destinées de l’Europe qui ne cessent d’être en jeu. La politique universelle, la paix du monde, les relations des peuples et des empires, tout peut dépendre de ces grands coups de théâtre de la mort. Il y a un peu plus de trois mois, c’était le vieux Guillaume, le premier Hohenzollern couronné empereur d’Alle-