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a fait don à l’Institut de France et à la France elle-même de cette résidence de Chantilly, devenue un apanage national sous la sanction de l’état. Il avait donné Chantilly, on demandait pour lui le droit de vivre dans cette demeure relevée et ornée par ses soins, au milieu de ces collections offertes à son pays ! Où était la politique en tout cela ? ! Il y a mieux : lorsque du cœur du soldat offensé s’échappait, il y a deux ans, la lettre véhémente et fière qui envoyait le prince en exil, à qui s’adressait cette protestation contre une mesure qui l’atteignait dans ses droits, dans ses susceptibilités les plus légitimes de chef militaire ? À un président que les républicains eux-mêmes ont contraint depuis de quitter l’Elysée pour indignité. Qui avait pris l’initiative de l’acte par lequel M. le duc d’Aumale était frappé ? Un ministre de la guerre, un général qui a été rayé depuis des cadres de l’armée pour indiscipline ! Évidemment si les ministres, à défaut d’un sentiment libéral et supérieur d’équité, avaient eu un peu d’esprit et de bon goût, ils se seraient hâtés de se donner des airs de générosité à peu de frais, en accueillant sans marchander la demande de l’Institut, en faisant cesser aussitôt un exil qui n’est plus qu’une iniquité inutile. M. le président de la république, dit-on, s’est fait honneur en se montrant favorable à la rentrée du prince. Le conseil des ministres en a décidé autrement ! Il a jugé que, dans les « circonstances actuelles, » l’arrêté d’exil devait être maintenu ! Eh bien ! soit, rien n’est changé. M. le duc d’Aumale ne peut rentrer en France, et le gouvernement n’en est pas, que nous sachions, plus fort. M. Floquet n’est pas un plus éminent président de conseil. La république elle-même n’est pas moins singulièrement compromise, livrée qu’elle est plus que jamais à tous ceux qui l’exploitent et la déconsidèrent devant le pays comme devant le monde, à ceux qui l’ont conduite à ce point où l’on ne sait plus ce qu’elle est ni ce qu’elle sera demain. Ce n’est point une dureté de plus qui sera pour elle une bien efficace défense !

Le malheur est que les radicaux et les ministres qui les représentent aujourd’hui au pouvoir ne tiennent compte de rien et ne voient rien : ils ne voient qu’eux-mêmes, ils ne représentent que des passions, des ambitions et des calculs de parti auxquels ils subordonnent tout, et l’indépendance de la magistrature, et l’ordre administratif, et la dignité des institutions, et le crédit de la France, et les intérêts de l’armée. Quand ils essaient de parler le langage d’hommes de gouvernement, c’est pour déguiser leur impuissance ou quelque concession nouvelle à leurs complices de toutes les sectes et de tous les camps révolutionnaires. M. le président du conseil, dans ses promenades à travers la France, est allé l’autre jour à Marseille, et là, avec une satisfaction de lui-même qui n’est égalée que par son insuffisance, il a déclaré qu’il fallait se garder d’introduire la politique dans l’armée. « Jamais, a dit M. Floquet, une raison politique n’a été pour les républicains sincères le motif détermi-