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élections qui se succèdent. Ils ne sont pas, il est vrai, toujours d’accord, ni dans leurs conseils ni dans leurs programmes, et plus on va plus les nuances se multiplient. L’armée du général Boulanger se débande et se fractionne, quelque peu déconcertée par la déroute qu’elle a récemment essuyée dans la Charente. Les conservateurs eux-mêmes ne s’entendent pas parfaitement sur la manière de conduire la campagne et surtout de la dénouer. Les républicains révisionnistes de leur côté ne sont pas plus d’accord sur la constitution nouvelle qu’ils se proposent de substituer à la malheureuse constitution de 1875. N’importe : dissolution, révision, plébiscite ou consultation populaire, c’est le moyen de s’entendre ; c’est toujours le mot d’ordre, arrivera ce qui pourrai Et que fait le gouvernement dans tout cela ? Oh ! le gouvernement a du temps et des ressources de tactique pour tout. Il est au sénat avec ceux qui se chargent d’ébranler la constitution de l’armée ; il est à la chambre avec ceux qui se chargent de désorganiser le travail. Il est tour à tour avec les révisionnistes et contre les révisionnistes. Il mêle un peu tout, — et au besoin il sait sauver la république par quelque acte viril ! Règle générale : quand les radicaux maîtres du gouvernement ne savent plus où ils en sont, ils sauvent la république en sonnant la charge contre les séminaristes, en décrétant ou en prolongeant l’exil d’un prince. Le ministère de M. Floquet n’a pas manqué à cette règle de prévoyance et d’équité radicales en refusant récemment de rouvrir à M. le duc d’Aumale les portes de la France.

Certes, tout se réunissait en faveur de la tentative qui a été faite, il y a quelques jours, pour obtenir le retour du prince ; tout concourait à donner un caractère sérieux à une manifestation qui offrait au gouvernement l’occasion d’accomplir un acte intelligent, de s’honorer par une réparation sans péril. Les principaux représentant, les délégués officiels de l’Institut qui se sont chargés de cette démarche, n’obéissaient, c’est bien clair, à aucune direction, à aucune inspiration, à aucun calcul de parti. Ils ne jugeaient point un acte déjà vieux de deux ans ; ils ne portaient auprès du gouvernement ni arrière-pensée ni prévision politique. Ils se faisaient les interprètes de l’Institut tout entier, d’un sentiment universel de justice, de cordialité et de sympathie pour le plus illustre de leurs confrères. Et quel est ce prince pour qui on demandait simplement le droit de rentrer en liberté dans sa patrie ? C’est celui qui, il y a quelques jours à peine, ici-même, écrivait avec une généreuse et virile sérénité de jugement, sans récrimination, sans vulgaire amertume, ces pages si émouvantes sur les devoirs inviolables du patriotisme, sur les douleurs de l’exil et la fidélité à la France. C’est celui qui dans sa carrière a toujours donné l’exemple du respect des lois, de l’obéissance et de la discipline, de la plus scrupuleuse réserve dans le service et même en dehors du service. C’est le prince libéral qui