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Mais, qu’il en résulte maintenant qu’en art « toutes les manifestations se valent, » et que l’on ne puisse pas préférer « la peinture de Titien à celle des primitifs » ou « le naturalisme étranger au naturalisme français, » pour des raisons tirées de la nature de la chose, c’est ce que je n’accorde point à M. Hennequin. « En art, si nous voulons l’en croire, il n’y a pas de critérium » et l’on ne peut subordonner les œuvres « qu’en usant d’une distinction qui se fonde non sur leur beauté, mais sur leur bonté, non sur le goût, mais sur l’hygiène. » Est-ce donc cependant pour des considérations de « morale » ou « d’hygiène » qu’en histoire naturelle on classe les mammifères au-dessus des reptiles, et parmi les mammifères, les bimanes au-dessus des autres ? ou n’est-ce pas plutôt pour des raisons tirées de la délicatesse et de la complexité croissante de leur organisation physiologique ? à moins encore que ce ne soit, comme de nos jours, pour des raisons « généalogiques, » c’est-à-dire tirées de l’histoire même de l’évolution de la vie à travers ses formes successives ? parce que l’inférieure a précédé ou doit être regardée comme ayant précédé la supérieure dans l’ordre chronologique et logique à la fois ? On pourrait longuement disputer sur ce point, et je regrette que, dans sa Critique scientifique, M. Hennequin n’ait pas cru devoir l’effleurer seulement, car il est capital, mais, de plus, en le traitant, M. Hennequin se fût sans doute aperçu de la plus grave omission qu’il ait faite, — avec intention peut-être, — mais alors dont il eût bien dû nous donner les raisons.

Il a en effet longuement et heureusement discuté la théorie de M. Taine sur la « race » et sur le « milieu, » mais il a oublié de parler du « moment. » C’est comme si l’on disait que, de sa « critique scientifique », il a éliminé toute considération de succession et de temps. Et, en effet, la science est dans l’espace, pour ainsi dire, elle n’est pas dans le temps. Le caractère, ou l’un des caractères essentiels de la vérité scientifique, c’est d’être fixe, étant l’expression de ce qu’il y a d’identique sous les choses muables. Et la critique ne deviendra « scientifique » qu’autant qu’elle placera ses conclusions en dehors et au-dessus de la durée. M. Hennequin le sait, puisqu’il le dit. Mais le peut-elle ? Voilà le point. Pour sa commodité, peut-elle douer l’œuvre d’art d’une existence en quelque sorte abstraite ? la soustraire à la loi de l’évolution ? la situer dans la région universelle, vague, ou neutre, pour mieux dire, qui est le lieu des phénomènes et des lois de la chimie, de la physique, ou de l’astronomie ? La question est de quelque importance, et il faut le montrer brièvement.

Lorsque l’on a donc rapporté une œuvre d’art à son auteur, et l’intention de son auteur à un état psychologique « général, » on n’en a pas encore énuméré toutes les causes ou toutes les conditions. Il reste, en effet, toutes les œuvres du même genre qui l’ont elle-même