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puis, son histoire sociale, celle des échanges que les espèces ont faits de leurs caractères entre elles, celle de leur succession, de leur transformation ou de leur développement dans le temps ; — et son histoire intellectuelle enfin, celle de ses rêves, de ses lassitudes et de ses espérances, toute l’histoire de la morale et toute celle de la religion. Par des procédés ou des méthodes appropriés, déduire ou plutôt induire cette histoire de l’analyse des œuvres de la littérature et de l’art, tel sera donc l’objet de la « critique scientifique. » Elle abandonnera pour toujours à la critique littéraire cette besogne un peu basse de juger les œuvres. Elle s’en remettra sur l’esthétique de déterminer les conditions de l’œuvre d’art, et, s’il y a lieu, d’en formuler quelque jour les lois. Elle recevra d’ailleurs l’histoire de l’art à lui dégrossir et à lui préparer les matériaux de son futur édifice, concurremment avec la physiologie, la psychologie, la pathologie, l’idéologie, la graphologie et la cacologie. Mais, en aucun cas, elle n’examinera l’œuvre d’art en elle-même, ni surtout pour elle-même, comme étant à elle-même son objet et sa fin ; et, faisant au besoin d’une ineptie qui aura réussi plus d’estime que d’un chef-d’œuvre méconnu, elle ne séparera jamais le signe, qui est l’œuvre d’art, de la chose signifiée, qui est l’homme.

Je n’y vois pas d’inconvénient, j’y vois même des avantages : j’y vois aussi quelques difficultés. Pas plus en effet que M. Taine avant lui, M. Hennequin n’a démontré son principe de la correspondance entière des œuvres et des hommes. Or, il est aisé de dire, en termes généraux, qu’il est impossible à quelque artiste que ce soit de ne pas se mettre lui-même dans son œuvre ; mais, en fait, et je ne sais comment, pour peu que l’on vienne au détail, il se trouve que cela s’est vu, cela, se voit, cela sans doute se verra toujours. Que M. Hennequin déduise donc de l’Odyssée la « psychologie » d’Homère, lequel peut-être n’a jamais existé ; ou bien encore, de la Chanson de Roland, qu’il déduise, pour voir, celle du trouvère qui l’a composée ! L’erreur ou l’illusion vient ici de ce que, depuis tantôt cent cinquante ans, la littérature, en devenant lyrique, est devenue personnelle, et de ce que, le sens individuel, comme on l’appelait jadis, ayant prévalu sur le sens général ou commun, un livre n’est plus guère aujourd’hui que l’expression du tempérament de son auteur. Mais il n’en a pas été toujours ainsi dans l’histoire, et, si je le voulais, pour quelques cas de concordance entre l’artiste et son œuvre, j’en citerais tout autant de leur discordance, pour ne pas dire de leur contradiction.

Laissons les étrangers, Shakspeare par exemple, ou Tasse, dont je craindrais de ne pouvoir parler avec une précision suffisante. Mais dans l’histoire de notre littérature nationale, si l’on s’est mépris deux