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DEUX GOUVERNEURS
DE L’ALSACE-LORRAINE

Nous nous sommes accoutumés, dans les dernières années de ce siècle, à ne plus compter avec les distances. La vapeur les a supprimées, mais parfois la politique les rétablit. On assure qu’avant peu il suffira de cinq jours pour se transporter de Southampton à New-York ; en revanche, grâce à la loi des passeports et aux formalités imposées à tout voyageur qui se rend de France en Alsace-Lorraine, il faut trois semaines au moins pour aller de Paris à Metz ou à Strasbourg. Tout gouvernement a le droit de défendre ses intérêts comme il l’entend, et nous ne trouvons rien à redire aux mesures de précaution que le gouvernement allemand a cru devoir adopter sur la frontière du Reichsland. Mais la politique est une matière sur laquelle il est permis de philosopher, et on peut se demander si ces mesures, dont on rend les Français responsables, ne sont pas la conséquence des fautes commises par l’administration allemande dans les provinces annexées. Nous n’aurions garde d’en dire plus à ce sujet que n’en disent les Allemands raisonnables. L’un d’eux convenait que la politique généreuse est souvent la plus habile, qu’on avait paru s’en douter à Berlin, que pendant quelque temps on s’était appliqué à réconcilier les Alsaciens-Lorrains avec leur sort, et qu’on s’était bien trouvé de cet essai, mais qu’un mouvement d’impatience, un caprice de colère, avait tout gâté : — « On apprend, disait-il, en étudiant les écoles que nous avons faites dans le Reichsland, comment un conquérant ne doit pas s’y prendre quand il se propose de s’assimiler promptement des populations qui, à la fois sages et fières, se montrent également sensibles aux bons et aux mauvais procédés. »

Ce fut huit ans après la conquête que le gouvernement allemand se décida à faire un essai de politique généreuse dans l’Alsace-Lorraine.