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Les groupes colossaux de MM. Michel, Tony-Noël, Labatut ne sont pas les seuls qui méritent l’attention. Il en est d’autres, sous des dimensions plus modestes, moins librement et mains largement traités, où l’an peut goûter encore des qualités fort estimables et un effort heureux dans la composition. M. Aizelin, l’évocateur aimable des Marguerites et des Mignons, a rarement, que nous sachions, composé, dans le sentiment classique, un groupe plus expressif ou d’un plus noble aspect que son Agar et Ismaël. Agar, une noble femme, au profil correct, la tête enveloppée d’un voile, tient, renversé sur ses genoux, le petit Ismaël, dont le corps nu se développe ainsi tout entier. Sans viser à un renouvellement inattendu de ce sujet traditionnel, soit par l’introduction des recherches ethnographiques, soit par une mise en scène dramatique, M. Aizelin est arrivé cependant à faire une œuvre intéressante et touchante par le charme sérieux d’une exécution grave, habile et correcte. Le groupe plus ambitieux de M. Godebski, la Force brutale étouffant le génie, offre aussi, avec moins de simplicité, un bon aspect d’ensemble. Cette allégorie, dans le goût du XVIIe siècle, qui semble faite pour un parterre de Versailles, nous présente une manière d’Hercule Farnèse au front bas, aux muscles redondans, qui étreint entre ses bras un jeune homme muni de grandes ailes. L’issue de la lutte n’est pas douteuse, et le chétif adolescent se débat en vain sous cet embrassement cruel en implorant les divinités sourdes. Il est fâcheux que certaines duretés et quelques minuties dans l’exécution enlèvent à ce corps à corps un peu de son effet vigoureux et saisissant.

Deux compositions, également conçues et traitées d’après les données et les habitudes des académiciens d’autrefois, dans un ordre d’idées plus familières, par MM. Steiner et Allouard, présentaient de moindres difficultés, qui ont été heureusement résolues par leurs auteurs. Le Père nourricier de M. Steiner est d’ailleurs encore à l’état de modèle en plâtre, et, durant sa transformation définitive, pourra subir quelques changemens désirables, notamment au point de vue d’une meilleure simplification des draperies. Telle qu’elle est, cette scène pastorale se compose agréablement. Ce père nourricier, un bonhomme chevelu et barbu, avec une physionomie ravagée et affable de vieux prolétaire, est un Faune aux pieds fourchus, qui a recueilli dans sa forêt, par suite de circonstances inconnues, deux nourrissons humains. Il s’acquitte en conscience de sa besogne et veille avec sollicitude sur l’un des poupards qui ronfle à pleines joues sur ses genoux, tandis que l’autre, assis dans le gazon, à son côté, dépèce, gaîment, avec la rage destructive de son âge, une flûte en roseaux. M. Steiner amis de l’esprit et de