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les effraie plutôt. Il leur faudra longtemps pour s’y sentir chez eux, et, au fond du cœur, ils regretteront toujours la Hesse. A peine installé, Wilhelm raconte ses ennuis à Gervinus et à Dahlmann. Quel tintamarre de voitures par toute la ville ! Quelles rues insupportables, si longues et si droites ! A les voir seulement, on est fatigué d’avance. Et puis que de temps perdu ! Il faut bien une heure pour aller à l’université et autant pour en revenir. Quelle différence en comparaison de Göttingen, qui était si commode ! Au moins Grimm s’est-il logé près du Thiergarten, pour être tranquille, et surtout, dit-il, pour avoir un peu de verdure sous les yeux.

Mais ces savans si modestes et si casaniers ont l’esprit large et jugent de haut. Par là ils sont supérieurs à Gervinus et même à Dahlmann, qu’ils n’essaient pas de suivre sur un terrain trop glissant. Ils voient les fautes de leurs amis, et ne leur cachent pas leurs doutes et leurs scrupules, quoique, dans leur ingénuité, ils ne les en admirent pas moins. Quant à eux, la politique ne les distrait pas de la tâche qu’ils se sont imposée. Ils savent qu’en l’accomplissant ils sont, eux aussi, des serviteurs dévoués et utiles de la nation allemande. « Avant d’énumérer mes ouvrages, dit Jacob Grimm, je ferai remarquer que presque tous mes travaux se rapportent, soit directement, soit indirectement, à l’étude de notre ancienne langue, de notre ancienne poésie et de notre ancien droit. Il se peut que ces études aient paru et paraissent encore stériles à plus d’un ; pour moi, je les ai toujours considérées comme une tâche digne et sérieuse, qui a pour objet bien défini notre patrie commune et qui en entretient l’amour. » Reconstituer, en effet, le trésor de ses antiquités littéraires et juridiques enfoui dans les ténèbres d’un moyen âge ignoré, c’était faire à l’Allemagne un magnifique présent. Herder avait parlé de ces richesses comme par divination. Il avait indiqué la voie à suivre, mais sans y entrer. L’école romantique, à son tour, s’était éprise de cette période mystérieuse, qui fournissait une ample matière aux imaginations poétiques. Les frères Grimm entreprirent l’étude approfondie du moyen âge, et surtout du moyen âge allemand ; ils procédèrent avec une méthode rigoureusement scientifique, et la plupart des résultats qu’ils obtinrent étaient acquis à jamais. C’était mériter de l’Allemagne aussi bien et mieux peut-être que leurs collègues, plus mêlés aux affaires du jour. Leurs travaux ne les empêchaient pas, d’ailleurs, de porter le plus vif intérêt aux questions politiques et de suivre avec anxiété le cours des événemens dès qu’une crise semble prochaine. Ils ont peu de sympathie pour la France. Ils souhaitent par-dessus tout que l’Allemagne redevienne une grande et