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Par le livre, on pouvait davantage. Déjà Stein y songeait, lorsque, en 1809, il méditait dans sa retraite sur les moyens propres à réveiller le sentiment national en Allemagne. « L’Allemagne, écrivait-il, est une nation liseuse de livres. » C’était aussi l’instrument le plus familier à des savans et celui qu’ils devaient le mieux manier. Aujourd’hui encore, les écrivains dévoués à la Prusse et au nouvel empire agissent plus efficacement peut-être par le livre que par tout autre moyen. Gervinus, Dahlmann et leurs amis surent en tirer parti. Mais le livre, surtout le livre d’histoire aux allures scientifiques, ne s’adresse directement qu’à un public restreint. Une faible minorité peut seule le comprendre, s’y intéresser et disposer du loisir nécessaire pour une lecture de longue haleine. Le gros de la nation n’a pas le temps ni souvent le goût de lire des livres. Les idées qui veulent faire leur chemin jusqu’à lui doivent se présenter sous une forme plus simple, plus accessible à des esprits incultes, plus courte surtout. Dans le livre et même dans la revue, les discussions sont trop subtiles et trop étendues, les conclusions trop éloignées des principes. Si profonde que soit l’impression laissée par une lecture, d’autres la recouvrent, et elle s’efface insensiblement. Le journal remédie à ces inconvéniens. Frappant toujours au même endroit, il enfonce son clou quotidien dans les cervelles les plus épaisses. Gervinus le comprenait, et, à plusieurs reprises, il a essayé du journal. Mais, ici encore, il se heurtait à des obstacles presque insurmontables.

Dans la plus grande partie de l’Allemagne, la liberté de la presse n’existait absolument pas. Nulle part elle n’était entière : partout une surveillance plus ou moins soupçonneuse. La diète, où l’Autriche était maîtresse, pesait sur les princes qui auraient volontiers laissé une certaine liberté aux journaux politiques. Au reste, ce n’était pas dans les états constitutionnels, c’était dans les provinces prussiennes, dans les états directement soumis à l’influence de l’Autriche, qu’on aurait désiré agir, et c’était là justement que la presse libérale n’avait point d’accès. « Il faudrait, écrit Dahlmann dans une lettre à Gervinus, planter sur le sol prussien ce que l’on veut voir prospérer sur le sol prussien. » Mais, pour planter, le consentement du propriétaire eût été indispensable, et ce consentement était refusé d’avance. D’autre part, il ne suffit pas d’être un professeur éminent, ou même un écrivain remarquable, pour faire un bon journaliste politique. Les qualités requises dans les deux cas sont fort différentes, et se rencontrent rarement réunies au même degré. Gervinus et ses amis étaient certainement plutôt professeurs que journalistes. Parcourez la célèbre Gazette allemande, fondée par Gervinus à Heidelberg en 1847, et qui jouit aussitôt d’une