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intentions aussi déterminées que celles qui lui font placer un roi sur son trône, le prêtre à l’autel, ou la fleur au soleil. »

C’est Everard, expiant pour un autre et travaillant dans l’abjection à une œuvre de salut, qui est en réalité le prêtre. La gloire de Cyril retombe au contraire sur sa tête en charbons ardens. Tout le bien qu’il fait depuis des années ne lavera jamais chez lui cette petite tache élargie dans la luxure et dans le sang, et que l’hypocrisie rend indélébile. En vain se croit-il nécessaire à la grandeur de l’église, en vain se persuade-t-il que ses expériences, bien qu’ignominieuses pour lui, sont utiles aux âmes, puisqu’elles l’aident à les diriger, son prestige de voyant, d’inspiré, de prophète, n’est que mensonge. Artiste, il l’est assurément, et virtuose merveilleux, mais il n’est que cela. De ses souffrances, de son repentir, il fait de l’éloquence, de la poésie, de la littérature. Jamais il n’est plus persuasif que quand il parle en ses sermons des joies de l’innocence qu’il a perdue, des délices de la paix qu’il ne connaît plus, du crime de Judas qui est le sien. Pure virtuosité,.. il se souvient, il utilise, — il se donne à lui-même l’illusion d’une pénitence stérile.

Un signe de la vigueur du caractère anglais, c’est le dédain que la plupart des écrivains et des penseurs de ce pays témoignent pour le repentir sentimental. Comme le faisait remarquer un pénétrant commentateur de Shakspeare[1], l’auteur du Roi Jean et de Richard III nous intéresse aux forts qui ont commis le mal en sachant ce qu’ils voulaient ; il laisse sans récompense humaine les bons qui trouvent ailleurs, plus haut, en eux-mêmes, le prix de leur vertu, et, certainement, toute autre morale distributive est mesquine autant qu’elle est fausse ; — mais le repentir ne se rencontre que chez ceux de ses personnages qu’il nous conduit à mépriser. Ce repentir, en effet, est-il autre chose que l’attribut de la faiblesse, quand il ne prend pas la forme active de la réparation ? Accepter les conséquences de nos actes et en triompher jusqu’à redevenir maîtres de notre destinée, voilà tout le devoir. La morale de Maxwell Gray est inflexible, aussi éloignée de cet hugotisme qui s’apitoie systématiquement sur le galérien, la prostituée et autres victimes des préjugés, que de ce jésuitisme qui admet les expiations secrètes, les pèlerinages en terre sainte entrepris sous le cilice par ces bons chevaliers du moyen âge, lesquels, après avoir violé la plupart des commandemens, revenaient absous et mouraient en odeur de sainteté ; le Chrysostôme de Belminster leur ressemble, jusqu’au moment où il comprend bien tard qu’il n’y a que la vérité

  1. Répertoire de Shakspeare, lectures et commentaires, par Jane Brown.