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était en état de légitime défense. On trouve Benjamin Lee mort dans un bois, l’enquête s’ouvre, et ce n’est pas le véritable assassin qui est arrêté, mais son plus intime ami, son camarade d’université, son futur beau-frère, le docteur Everard, contre lequel les preuves paraissent s’accumuler d’une façon écrasante. Et Cyril hésite à parler, et le besoin qu’il a de l’estime des hommes l’arrête, et le malheureux Everard est condamné, sur le faux témoignage d’Anna Lee, qui veut sauver celui qu’elle aime encore, à vingt ans de travaux forcés. Seule, Lilian, la sœur jumelle de Cyril, a foi, malgré les apparences, dans l’innocence d’Everard ; patiente et dévouée, elle l’attendra, et le jour où il revient brisé, vieilli, après un châtiment immérité, elle sera là, prête à lui tendre les bras, à devenir sa femme comme elle l’avait promis. Cyril est alors sur le point de passer évêque de Warham, le siège le plus important de l’Angleterre ; il a monté triomphalement tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, il a satisfait cette soif de considération qui est le trait dominant de son caractère ; ses vertus, ses talens sont célèbres ; ses remords sont depuis longtemps étouffés chez lui sous des sophismes qui lui font donner le pas aux devoirs de sa vocation sur ceux de sa conscience. Que faudra-t-il pour le précipiter du haut de ce trône de mensonge ? Un regard de celui qu’il a perdu, un regard de pitié, un mot de miséricorde. Everard pardonne, et, devant cet acte véritablement évangélique, le triple airain dont s’enveloppait le cœur du prêtre indigne tombe, et ce cœur se brise, à moins que vous ne préfériez croire que l’opium, dont il use souvent, aide à la mort subite du doyen, qui, après avoir confessé publiquement sa faute devant le clergé, devant le peuple, dans une scène magnifique et grandiose dont la cathédrale de Belminster est le théâtre, reste immobile d’une immobilité qui est celle de la mort, la tête appuyée au rebord de cette chaire où sa voix éloquente vient de retentir pour la dernière fois.

Tel est en substance ce sujet qui eût tourné si aisément au mélodrame. On peut se représenter sans peine ce que miss Braddon en eût fait, tandis que, sous la plume de Maxwell Gray, l’œuvre vaut surtout par l’étude des caractères, aussi solides, d’un dessin aussi juste et aussi serré que si le récit où ils se meuvent n’était pas romanesque, — qualité devenue très rare, par parenthèse, dans les romans de nos jours.

Qu’un jeune clergyman, voué à la plus haute piété, même à des macérations excessives, éprouve une fois la vérité du mot de Pascal : « Qui fait l’ange fait la bête, » qu’une défaillance passagère ait pour lui des conséquences incalculables, il n’y a là rien que de banal et d’assez vulgaire ; ce qui nous intéresse, c’est la manière dont sa chute est préparée dès ce premier chapitre, qui s’ouvre avec tant