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Beauclerc. Ce joli personnage appartient à l’armée, comme le Fortinbras de Philips. Espérons que les Society novels calomnient MM. les officiers de cavalerie. Ce qu’il y a de curieux, c’est la tranquillité avec laquelle Mrs Forrester expose le cas de ce ménage à trois. Elle répond de l’innocence d’Angey : à merveille ; mais sans tenir aux documens, aux preuves palpables avec la même rigueur que nos naturalistes, on voudrait cependant n’être pas forcé de croire aux salamandres qui vivent dans la flamme et ne s’y brûlent pas. Que le monde, toujours méchant, toujours jaloux, dise beaucoup de mal de Mrs Beauclerc, nous nous en étonnons moins que l’auteur, qui paraît manquer à la fois de logique et de sens moral.

Il serait fort injuste de ranger les Society novels, sans exception, dans la catégorie des livres légers dont nous venons de donner l’aperçu rapide. Quelques écrivains tirent de ces mêmes sujets un tout autre parti, utilisent ces mêmes élémens avec une tout autre compétence, un tout autre art et une intention évidente de ne, "point pactiser avec le mal, mais de le dénoncer, au contraire, au mépris des honnêtes gens. Tel est M. Hamilton Aïdé. Faire aux lecteurs de la Revue l’éloge de cet élégant romancier, serait superflu, croyons-nous ; ils n’ont pas oublié le récit d’un si vif intérêt[1] qui leur montra naguère le type curieux du grand seigneur socialiste et quelque peu bohème, débutant par une mésalliance dans le rôle de réformateur où ses aspirations généreuses, mais flottantes, ne le conduiront qu’à des échecs lamentables. Cette fois, M. Aïdé continue ses études sur la société aristocratique de son pays en y introduisant la plus aimable des barbares, une jeune héritière australienne, avide de juger par elle-même des cercles brillans du vieux monde dont les romans lui ont parlé.

Présentée dans le monde commence d’une façon vive et nouvelle. Cette richissime miss Johnstone a publié, sous le voile de l’initiale, par l’intermédiaire des journaux, qu’elle est disposée à donner le tiers de son énorme revenu, solidement fondé sur une florissante maison de commerce et sur des fermes considérables, à la famille haut placée en Angleterre qui voudra bien l’accueillir sous son toit et la faire pénétrer dans un milieu où l’on n’entre d’ordinaire que par droit de naissance. Or cette somme ronde, spontanément offerte, arrangerait fort bien les affaires de sir Norman Davenport, un beau de cinquante-six ans, dont la fortune a reçu de fortes brèches, et qui paie de plus en plus cher, à mesure qu’il avance en âge, les

  1. Voir Un Poète du grand monde, dans la Revue du 15 août, des 1er et 15 septembre 1881.