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frivole se plaît à retracer les intrigues, ne valent pas mieux que les nôtres. Il y a cependant quelques petites différences : chez nous l’ivrognerie compte pour une moins large part dans les vices des hommes du monde ; les femmes ont moins souvent l’occasion de dire sans façon quand ils leur manquent de respect : Are you drunk ? Puis, les mariages d’argent sont, en France, généralement poursuivis par l’homme ; en Angleterre, ce genre d’ambition existe surtout du côté féminin. Notons, en passant, que la jeune fille n’arrête plus, comme autrefois, le flirt au seuil de l’hyménée, la beauté reçoit souvent plus d’hommages après le mariage qu’auparavant ; on ne peut nier que ce ne soit là un mauvais emprunt fait à la France ; en revanche, la France n’a pas encore emprunté à l’Angleterre la signification très élastique donnée au mot d’ami. L’Anglaise mariée n’a jamais d’amant, c’est entendu ; la plus odieuse des coquettes de Mrs Forrester désole son excellent mari au point que, n’y tenant plus, celui-ci se fait écraser sous ses yeux par un train de chemin de fer ; pourtant elle n’a pas encore peut-être manqué à la lettre de ses devoirs ; mais si le lover est défendu à l’Anglaise mariée, elle reste libre d’avoir autant de friends qu’il lui convient, et voici comment Duke Vereker est l’ami de Mrs Beauclerc. Cette angélique créature, fort malheureuse en ménage, l’a dégoûté des liaisons passagères et arrêté sur la pente des pires folies. Elle exerce sur lui une domination absolue, il passe sa vie à ses pieds, il aime tout ce qui lui appartient, jusqu’à son fils qu’il soigne, dans les maladies de l’enfance, si tendrement, que ceux qui ne le connaissent pas admirent ce jeune père ; grâce à lui, grâce à ses invitations, à ses présens, elle a une existence de plaisirs et de luxe ; le mari trouve cela fort bon ; il chasse, il voyage, il s’amuse aux frais de l’ami de sa femme ; il peut se figurer qu’il a des châteaux, un yacht, une écurie en toute propriété. Un jour que Mrs Beauclerc se plaint de n’avoir pas d’argent pour faire marcher la maison, cet époux complaisant lui répond avec simplicité : « Adressez-vous à Duke. » Il est vrai que ce conseil honteux allume l’indignation de la vertueuse Angey, qui, pour en finir, prête les mains au mariage de son platonique adorateur. Le cœur lui saigne : il l’a tant aimée d’amour, tandis qu’elle l’aimait d’amitié ! C’en est fait de son empire, mais il le faut… Duke s’attachera, avec la fidélité de terre-neuve qui lui est propre, à une jeune fille qui ne sera pas jalouse de son amie, et celle-ci donnera en soupirant sa bénédiction aux fiancés, après avoir déjoué toutes les entreprises plus ou moins perfides de son mari contre ce dénoûment qui leur enlève la poule aux œufs d’or. — Angey est folle de n’avoir pas gardé cet ami sans pareil ! Que va-t-il devenir maintenant, lui, le prodigue, le débauché, le joueur ? — voilà ce que pense le capitaine