mais en lui reprochant néanmoins d’enlaidir encore dans la fiction des choses déjà repoussantes dans la réalité, de traîner l’imagination du lecteur sur des détails qui la salissent. Leurs exigences sont celles de Baldwin en ses dialogues éloquents et subtils[1] ; ils veulent que quiconque entreprend de peindre un caractère humain, une émotion humaine, soit tenu de l’élargir, de l’idéaliser, pour répondre au besoin qu’a notre esprit d’éprouver un plaisir qui ne soit pas gâté, comme dans la vie, par l’intervention choquante des choses basses.
Une troisième catégorie de lecteurs (comment n’y en aurait-il pas de maintes sortes dans ce pays par excellence des circulating libraries, où l’un des besoins essentiels de l’existence est de dévorer gloutonnement ce qui s’imprime, sans grand souci parfois de la qualité), une troisième catégorie de lecteurs qui n’est pas, cela va sans dire, la moins nombreuse, se jette sur nos mauvais livres, quitte à les charger ensuite d’anathèmes, rappelant cette dame anglaise qui, après s’être amusée prodigieusement à Niniche ou à la Belle Hélène, disait aux témoins de sa gaîté : « Je n’ai pas compris ; je ne comprends que le français de Fénelon ou de Racine ; je ne comprends jamais le français des variétés. » C’est pour satisfaire à la fois cette pruderie et cette curiosité que s’écrivent les Society Novels, dont la fortune grandit de jour en jour et qui dérivent de notre roman de mœurs contemporaines. L’adultère est remplacé par le divorce, et ce sont généralement des veuves ou des jeunes filles qui s’y rendent coupables des fautes ou des folies imputées chez nous à la femme mariée ; voilà toute la différence, avec une autre qui n’est pas à leur avantage, c’est qu’ils n’exigent pour être goûtés ni grande culture ni grande réflexion. Les qualités qui se trouvent dans quelques-uns de nos romans naturalistes, l’observation serrée, la recherche scientifique, un certain pessimisme poignant, l’étude attentive de ce qui est humain, fût-ce du plus vilain côté de l’humanité, toutes ces choses qui, au point de vue de l’art du moins, peuvent servir d’excuse, n’existent ni chez M. Philips, ni chez Mrs Forrester, ni chez leurs pareils.
— Le roman n’est malheureusement, en Angleterre, qu’un passe-temps ; il se lit encore plus mal qu’il ne s’écrit, nous disait dernièrement un romancier anglais d’un tout autre ordre, en admirant le sérieux, les connaissances de toute espèce que suppose l’appréciation d’un récit philosophique, — tel que la Bête de M. Cherbuliez, par exemple.
Voilà l’explication du succès limité qu’a obtenu Miss Brown[2], si remarquable au point de vue psychologique, et du peu de bruit