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très humblement faire sa confession et sa pénitence devant la chambre des pairs en gardant sa position ; il est rentré dans l’ordre ! On aurait pu croire que cela allait finir. C’était à peine le commencement ; l’impulsion était donnée, et après ces préliminaires, où lord Wolseley n’a point eu un rôle des plus brillans, le mouvement n’a fait que redoubler. Et la panique dure encore ! elle est un peu partout, dans les clubs, dans les meetings, dans les journaux, même par instant dans le parlement !

Oui, en vérité, les Anglais se donnent depuis quelque temps à eux-mêmes et donnent au monde une représentation bien bizarre, trop bizarre pour ne pas cacher quelque calcul insaisissable. On dirait, à les entendre, que tout est en péril, que l’Angleterre est sans défense, qu’il n’y a qu’à faire un geste et un signe pour débarquer sur leurs côtes une armée de 100, 000 hommes, — et, naturellement, c’est la France qui est toujours la grande suspecte à leurs yeux ! Ils supputent les navires, les soldats nécessaires pour l’invasion dont ils sont menacés, et ils se donnent même des émotions en racontant les batailles qui pourraient être livrées. Vainement on leur dit que tout cela est aussi puéril qu’extravagant, qu’il faudrait une flotte de 480, 000 tonnes pour débarquer 100, 000 hommes, et qu’aucune puissance de l’Europe ne possède cette flotte, que, pour cette raison et pour quelques autres, l’Angleterre peut encore dormir tranquille. N’importe ! par un étrange phénomène d’hallucination rétrospective, ils voient le camp de Boulogne reconstitué devant eux, la mer livrée aux envahisseurs, et lord Wolseley, qui sait son affaire, assure qu’on n’a besoin que d’une flotte de 150, 000 tonnes pour jeter en trois jours 100, 000 hommes au moins sur les côtes britanniques. Ce n’est pas plus compliqué et plus difficile que cela ! Voilà pourtant à quoi peuvent passer leur temps des hommes sérieux et pratiques comme les Anglais. Le gouvernement se sent peut-être quelque peu humilié de ces démonstrations passablement ridicules. Il ne se croit pas moins obligé, ne fût-ce que pour ménager l’opinion populaire, de demander des subsides au parlement ; il a récemment désigné des officiers de l’armée active pour embrigader et commander les volontaires ; il vient même de nommer une commission royale qui est chargée de faire une enquête sur l’état des forces militaires et navales de la Grande-Bretagne, et où se trouvent réunis des hommes comme lord Hartington, lord Randolph Churchill, M. W. Smith, le général Brackenbury, l’amiral sir F. Richards. Après cela, les Anglais retrouveront peut-être leur sang-froid ; ils ne se croiront plus menacés par ceux qui ont assez de se défendre. Ils cesseront cette comédie d’une grande nation jouant la peur, comme si elle n’avait pas tous les moyens de sauvegarder son intégrité et même de maintenir sa toute-puissance sur les mers où elle a l’ambition de régner !

L’éclat des fêtes publiques, des manifestations et des ovations n’ex-