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tendait. Il a enfin saisi cette occasion de préciser une fois de plus la politique extérieure de la France, politique toute d’observation et de défense, toute pacifique, et la meilleure preuve qu’il ait pu donner des intentions pacifiques de notre pays, c’est cette exposition même à laquelle on fait d’avance la guerre, qu’on peut juger plus ou moins opportune, mais qui ne ressemble sûrement pas à une manifestation belliqueuse. En un mot, tout ce qu’il y avait à faire, le chef de notre diplomatie l’a fait sans aller au-delà ; tout ce qu’il y avait à dire, il l’a dit avec fermeté, avec modération, de façon à ne rien compromettre, ni la dignité du pays ni ses bonnes relations avec qui voudra être l’ami de la France. Après cela, l’incident dont M. Tisza s’est fait le héros est fini sans doute ; il ne reste pas moins le signe d’un certain état d’esprit sur lequel nous ne pouvons nous faire illusion. Tout ce qu’on peut se demander, c’est si le chef du cabinet hongrois a laissé échapper par légèreté le secret d’une malveillance assez universelle, ou si cette menace d’une guerre de la France qu’il a invoquée n’est pas tout simplement un de ces moyens dont M. de Bismarck s’est si souvent servi pour préparer une demande de subsides, une augmentation nouvelle des forces militaires.

C’est là, dans tous les cas, à ce qu’il semble, l’unique ou le principal objet des délégations qui viennent de se réunir à Buda-Pesth, et où la première parole a été pour célébrer la ligue de la paix, l’alliance avec l’Allemagne. Les présidens des deux délégations, M. de Smolka et M. Louis Tisza, le frère du ministre hongrois, l’empereur François-Joseph lui-même, ont commencé par rendre témoignage de leur fidélité au pacte dont M. de Bismarck se réserve d’être le souverain interprète. L’empereur Guillaume est mort, l’empereur Frédéric III règne, et si l’infortuné souverain épuise en ce moment même ce qu’il a de volonté dans une lutte ingrate contre l’influence du chancelier, -au sujet de M. de Puttkamer, qui vient d’être obligé de quitter le ministère de l’intérieur, il ne touche pas à la politique de M. de Bismarck, qui, aujourd’hui comme hier, reste intacte et toute-puissante. Seul, le chancelier tient dans ses mains les fils de toutes les combinaisons, demeure le maître de la paix et de la guerre. C’est à cette politique que l’Autriche tient visiblement à donner des gages, en redoublant d’activité, en prenant pour ainsi dire sa position sous les armes dans l’alliance qui règle tout et domine tout en Europe. Elle veut, comme on le dit dans un langage devenu usuel, proportionner ses forces « à l’accroissement de la puissance militaire de tous les autres états. » Le plus clair est que les délégations ouvertes à Buda-Pesth par l’empereur François-Joseph vont délibérer, que M. de Kalnoky, appelé en consultation, donnera sans doute des explications plus ou moins évasives, que le ministre de la guerre arrivera ensuite avec ses demandes de crédit, et qu’on votera près de 100 millions de subsides pour les ar-