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le baron le voyait et, en homme avisé, il estimait prudent de céder de bonne grâce et contre une grosse somme un bien qui lui causait des inquiétudes. Puis il caressait le rêve de quitter l’Inde, où il avait eu des déboires, d’acquérir un domaine en Saxe, d’y vivre en paix, conformément à son rang, en grand propriétaire terrien. On tomba d’accord sur le prix, et Warren Hastings, très épris, riche alors de plus de 25 millions de francs, se montra généreux.

Mais, tout amoureux qu’il fût, il savait compter ; pour se couvrir de ses déboursés, il accueillit favorablement les ouvertures du nabab du Bengale. Ce dernier souhaitait vivement arrondir sa principauté par la conquête du pays des Rohillas, mais les Rohillas étaient braves, et les troupes du nabab ne brillaient pas par leur valeur. Son expérience personnelle lui avait appris que Warren Hastings n’était pas sourd à certains argumens. Il lui demanda donc de mettre à sa disposition les soldats de la compagnie pour lui conquérir la province convoitée, s’engageant à payer ce service d’un bon prix. Warren Hastings demanda 400,000 livres sterlings (10 millions de francs). Le marché fut conclu et la province envahie. Vaincus après une résistance désespérée, les Rohillas se soumirent ; mais cent mille d’entre eux s’enfuirent dans les jungles, préférant la famine et la mort au joug odieux qu’on leur imposait. Vainement les officiers de la compagnie, écœurés des horreurs de cette guerre inique, protestèrent contre le rôle honteux qu’Hastings leur faisait jouer, leurs remontrances furent vaines. Immensément riche pour son propre compte, il ne laissait pas que de faire, dans ses opérations, une part à la compagnie dont il accroissait ainsi les revenus. Elle lui en savait bon gré et répondait aux plaintes que provoquaient ses agissemens en doublant son traitement et en étendant ses pouvoirs.

Hastings jugeait des autres comme de lui-même, en quoi il ne se trompait pas. Ses millions, facilement gagnés et habilement employés, lui achetaient à Londres les suffrages des actionnaires et lui obtenaient le rang de gouverneur-général des Indes pour cinq ans. Jamais proconsul romain ne fut investi de pouvoirs plus étendus. Il gouvernait en maître absolu 50 millions d’Indiens qu’il pillait à sa guise, entassant trésors sur trésors, enrichissant ses adhérens, pensionnant les membres du conseil dont il redoutait l’opposition, dédaigneux des ordres qu’on lui transmettait, grisé par l’or et la toute-puissance. Mais l’Inde entière fermentait, un soulèvement était à redouter. Malgré le silence imposé, les sourdes imprécations d’un peuple opprimé se faisaient entendre. Le conseil suprême alarmé ordonne son rappel. Il refuse de partir et, résolu à briser par son audace toutes les résistances, il impose au rajah de Benarès, qui a osé sa plaindre, un tribut de 50,000 livres sterling. Sur le refus de ce dernier, il double ses exigences. Nouveau