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élémentaires de la dévotion ; le fils était obligé de désapprendre le signe de croix enseigné par sa mère. En tout pays, un tel changement eût jeté un grand trouble; en aucun, la perturbation ne pouvait être plus grave qu’en Russie, où la prière, accompagnée d’inclinations du corps et désignes de croix répétés, a une sorte de rite matériel. Le peuple se souciait peu que les rites établis par Nikone fussent plus antiques que les siens. Pour l’ignorant Moscovite, il n’y avait d’autre antiquité que celle de ses pères et grands-pères; et ses pères lui avaient enseigné de minutieuses observances pour toutes les heures et tous les actes de la vie. Le Moscovite était emmailloté d’un réseau de rites comparable au cérémonial chinois. Un livre du XVIe siècle, le Domostroi, le Ménagier russe, montre jusqu’où était poussé le formalisme de l’ancienne Moscou. La religion que recommande le prêtre Sylvestre, précepteur d’Ivan IV et rédacteur du Domostroi. consiste avant tout dans le respect scrupuleux des rites extérieurs. Pour ce code de la piété et du savoir-vivre moscovites, le bon chrétien est celui qui se tient raide pendant les offices; qui baise la croix, les images, les reliques, en retenant son souffle, sans ouvrir les lèvres; qui consomme l’hostie sans la faire craquer avec les dents : qui, le matin et le soir, s’incline trois fois devant les icônes domestiques, en frappant la terre du front ou en se courbant au moins jusqu’à la ceinture. Tous ces usages des ancêtres, le raskolnik mit son honneur à leur demeurer fidèle, et cela non-seulement en religion, mais en toute chose. Dans certaines régions, il a conservé, avec presque autant de soin, les coutumes domestiques, les rites des fêtes civiles, les légendes du passé, y compris les traditions et les chants d’origine païenne, que la liturgie antérieure à Nikone. C’est ainsi, parmi les raskolniks de l’Onéga, que Hilferding a recueilli les principales de ses bylinas ou romances épiques. C’est ainsi que, dans la fête à demi païenne du printemps, A. Petchersky avait cru retrouver, à dix siècles de distance, un écho de la lointaine poésie slave, antérieure à la prédication du christianisme. Dans l’izba des vieux-croyans, les vieilles coutumes se sont conservées intactes, comme enfouies sous la superstition.

L’un des caractères de l’orthodoxie grecque, c’est sa propension à prendre une forme nationale, à se constituer en églises locales, ayant chacune leur langue liturgique. Nulle part cette tendance n’a été plus marquée que chez le Slave russe. A certains égards, le raskol n’a été que la conséquence ou le dernier terme de ce nationalisme. Il est sorti de la liturgie nationale ; il est né des missels slavons. La liturgie slave, héritée de Cyrille et de Méthode, le Russe s’y était attaché avec une ignorante révérence, sans tenir compte des originaux. Le slavon était devenu pour lui la véritable langue sacrée. Identifiant l’orthodoxie avec ses livres et ses apocryphes, le Moscovite