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discrédita pas le parti qu’il représentait à la Maison-Blanche. Ce fut encore un républicain, M. Garfield, que les suffrages populaires investirent, en 1880, du pouvoir suprême.

Le président actuel, M. Cleveland, mérita naguère le surnom de maire veto (Veto Mayor) pour avoir, à la mairie de Buffalo, repoussé plus de lois votées par son conseil municipal que plusieurs de ses prédécesseurs ne l’avaient fait en beaucoup d’années. Sa fermeté ne s’est pas démentie à la présidence. « On cite de lui, dans sa carrière, plus de cent vélos frappant autant de bills injustifiables, bons seulement à dissiper follement l’argent des contribuables. » Cette attitude énergique en face des assemblées de toute nature est célébrée par ses partisans comme un titre à la confiance du peuple et un motif suffisant de réélection.

Même la situation d’accusé n’enlève pas au chef de l’état le libre usage de sa prérogative. André Johnson, décrété d’impeachment par la chambre et traduit devant le sénat, ne continua pas moins, pendant le procès, de remplir ses fonctions exécutives et d’interjeter son veto. Johnson fut battu ; la loi, adoptée à la majorité des deux tiers, passa malgré lui. Mais nul ne paraît avoir contesté le droit strict du président d’exercer, même en ces circonstances critiques, un pouvoir que lui confère la constitution.

Avant la présidence de Johnson, qui forme un chapitre à part dans l’histoire des États-Unis, encore troublés par les suites de la guerre civile, aucun des bills nombreux frappés de veto sous toutes les administrations successives depuis Washington, n’avait réussi, sauf un ou deux peut-être, à obtenir force de loi. Le triomphe de l’exécutif était le fait normal ; la victoire parlementaire restait l’exception.

Depuis quelque temps, le congrès a remporté plus fréquemment l’avantage. Certaines lois importantes sont devenues définitives en dépit de l’opposition présidentielle, et souvent grâce à des votes de coalition. Ce fait nouveau n’est-il que la conséquence du désarroi des partis nationaux ? Doit-on y reconnaître plutôt le symptôme d’une transformation que plusieurs écrivains d’Amérique signalent dans la pratique des institutions de leur pays ?

La solidité du pouvoir exécutif fédéral et local avait toujours été regardée par les Américains comme la garantie nécessaire contre l’intempérance des assemblées confuses ou dévoyées. « Nous logeons nos gouverneurs dans des palais, disait naguère un journal de New-York, et nous leur donnons de beaux appointemens, à seule fin d’être préservés par eux d’autant d’actes législatifs que possible. » Si le veto devenait lettre morte, l’autorité exécutive serait singulièrement affaiblie, sinon annulée.