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de maintenir son premier vote ; le bill acquiert alors force de loi, malgré l’opposition présidentielle. Sans doute la constitution exige en ce cas les deux tiers des suffrages, condition assez difficile à réaliser pratiquement. Mais la théorie laisse le dernier mot au congrès, dont l’honneur reste sauf. C’est à lui de se mettre d’accord avec lui-même et de réunir la majorité requise.

Moins brutal dans la forme que le droit de dissolution, le veto défend mieux le pouvoir exécutif. Conserver l’appui du tiers des voix dans une seule chambre est plus facile assurément que de conquérir d’emblée la majorité du pays entier. Rien n’empêche le président de repousser toute loi quelconque sans crainte d’avoir à se démettre au premier échec. Battu sur un point, il peut aussitôt recommencer la lutte sur un autre et remporter l’avantage. Les chances de vaincre sont en sa faveur, et le joug parlementaire ne lui est pas constamment imposé.

Sauf l’unique prescription relative à la majorité des deux tiers et visant les effets du veto, aucune règle n’en restreint l’usage. Le président possède à cet égard un pouvoir discrétionnaire, et les constituans des États-Unis entendaient bien qu’il y recourût sans timidité. Son refus n’a pas même besoin de s’appuyer sur des argumens de doctrine. Une simple considération d’opportunité ou de convenance particulière suffit. John Tyler rejeta certain bill financier pour cette raison toute personnelle que le bill en question abrogeait une mesure votée autrefois par lui-même comme membre du congrès fédéral. Malgré la singularité du motif, le veto présidentiel triompha.

D’ordinaire, toutefois, le président justifie son opposition en invoquant l’esprit du pacte fondamental, qu’il se trouve de la sorte appelé à interpréter. Aussi, dans la pensée de quelques-uns, le droit de veto ne devait être exercé par l’exécutif qu’avec le concours du pouvoir judiciaire, interprète naturel de la constitution et des lois. James Wilson et Madison recommandaient cette combinaison. Certes, l’examen des actes législatifs eût offert ainsi toutes les garanties possibles de compétence ; mais l’union des deux pouvoirs aurait fait leur faiblesse plutôt que leur force. Le président, dont les vetos seraient subordonnés aux décisions judiciaires et couverts par elles, descendrait au rôle d’un chef de contentieux. La magistrature, bientôt compromise dans les querelles des partis militans, y perdrait l’indépendance et l’autorité.

En Amérique, d’ailleurs, le juge exerce le droit le plus large d’interpréter et de contrôler toutes les lois dans leur application aux causes régulièrement évoquées devant lui. Il peut même, du haut de son tribunal, déclarer telle loi inconstitutionnelle, et par suite