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dans son excellent exposé du système des Etats-Unis[1]. Mais chacun se dérobe ; la gestion des deniers publics et la direction du pays sont abandonnées à des pouvoirs anonymes. « Une douzaine d’hommes déterminent la politique du gouvernement, une douzaine de compromis la dénaturent, et une douzaine de bureaux, à peine connus de nom hors de Washington, l’appliquent[2]. » On ne trouve personne à qui demander des comptes dans ce conflit des irresponsabilités.

Malgré tout, au duel parlementaire quotidien, les Américains préfèrent la grande bataille gouvernementale tous les quatre ans. Les deux systèmes opposés se résument ainsi : lorsque le cabinet est responsable devant le parlement, les majorités des deux chambres imposent chaque jour à l’exécutif leurs volontés variables et parfois contradictoires. Si la responsabilité pèse sur le président seul, c’est le parti dominant au jour de l’élection présidentielle qui prend le pouvoir et le garde pendant quatre années successives, sans être obligé de régler sa conduite d’après les changemens d’opinion survenus dans le congrès. Lors même que la majorité sénatoriale qu’a ratifié le choix des ministres se déplace, le ministère subsiste intact. Les assemblées engagent-elles la lutte avec le président, les ministres doivent lui rester fidèles ou se démettre. Cette stabilité quadriennale, établie comme correctif de la perpétuelle mobilité républicaine, permet au pays de reprendre haleine entre les périodes prévues d’agitation électorale et politique.

Mais sous ses deux formes, anglaise et américaine, le parlementarisme exige une autorité forte, soit dans les mains du premier ministre en Angleterre, soit dans les mains du président aux États-Unis. C’est la condition indispensable pour en faire un système de gouvernement viable et apte à remplir sa mission, de plus en plus difficile.


III

Dans l’intention de mettre l’exécutif à l’abri des attaques parlementaires, les Américains l’ont isolé complètement des assemblées. Au contraire, c’est en le faisant participer à l’autorité législative par le moyen du veto qu’ils l’ont rendu capable d’arrêter les empiètemens des législateurs. La théorie de la séparation des pouvoirs

  1. La Forme nouvelle du gouvernement aux États-Unis et en Suisse, par M. Emile de Laveleye. (Revue du 1er octobre 1886.)
  2. Woodrow Wilson, Congressional government, p. 318.