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D’après l’usage, le président de la république prend l’avis des ministres selon ses convenances et en tient compte comme il veut. Parfois même, on l’a vu se dispenser de recourir à leurs lumières et se décider à leur insu. Quelle que soit sa manière de procéder, il agit dans la plénitude de sa responsabilité personnelle.

Washington consultait ses secrétaires d’état ensemble ou séparément, de vive voix ou par écrit. Mais il entendait bien rester libre de suivre son propre jugement ; en effet, ses résolutions ne furent pas toujours d’accord avec les opinions ministérielles. Tous les présidens, à son exemple, se réservèrent le même droit et l’exercèrent au besoin.

Sans doute, Jefferson avait coutume de réunir des conseils de cabinet où les décisions se prenaient à la majorité des suffrages. Il était toutefois le premier à reconnaître que l’esprit de la constitution ne justifiait pas cette méthode, dont l’application constante aurait transformé la présidence en une sorte de directoire exécutif. Lui-même ne se regardait pas comme lié par le résultat du vote. On affirme qu’il s’abstint de mettre en délibération les affaires les plus importantes, telles que l’acquisition de la Louisiane en 1803, et le rejet du traité conclu avec l’Angleterre par Monroë et Pinckney en 1807. La première de ces deux mesures « touchait pourtant aux extrêmes limites du droit constitutionnel[1]. »

Jackson ne communiqua au ministère sa détermination de retirer de la Banque nationale les fonds publics qu’après l’avoir irrévocablement arrêtée dans son esprit. Quant au président Tyler, il ne prévint même pas ses subordonnés de son deuxième message de veto sur la Banque, en septembre 1841 ; ce manque d’égards provoqua plusieurs démissions parmi les membres du cabinet.

Lincoln aussi, dit-on, trancha certaines questions capitales sans demander l’avis de ses secrétaires d’état. S’il leur donna lecture de sa première proclamation relative à l’affranchissement des esclaves, en 1862, ce fut par un sentiment de courtoisie plutôt que par tout autre motif, car il était résolu d’avance à la publier.

L’entente préalable s’est-elle établie entre les ministres et le chef de l’exécutif, celui-ci ne craint pas néanmoins de revenir sur les décisions adoptées d’un commun accord et d’agir en sens opposé. Quelque temps avant la session parlementaire de 1846-1847, au milieu des embarras suscités par l’expédition des États-Unis contre le Mexique, le président Polk, de concert avec son cabinet, avait décidé que les opérations militaires actives seraient suspendues ; le pays conquis devait simplement rester occupé jusqu’à la conclusion de la paix. Dans le message, déjà prêt à être adressé au

  1. Story, Commentaries, t. II, p. 166.