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volonté expresse des majorités législatives, et même de l’annuler, pour peu qu’il soit appuyé par une minorité suffisante de représentans ou de sénateurs.

Rien de moins facile à définir nettement que cette forme de magistrature spéciale, qui n’a d’équivalent exact dans aucune autre constitution connue. Le président appartient à la démocratie par l’origine de l’élection et la brièveté du mandat quadriennal. Mais, sous certains aspects, « ce roi en habit noir, » comme on l’appelle parfois aux États-Unis, semble plus puissant qu’un roi constitutionnel. Ne gouverne-t-il pas personnellement, sans l’intermédiaire ni le contrôle d’un cabinet responsable ? Ne possède-t-il pas le droit de grâce, prérogative essentielle de la couronne ? Et il en dispose suivant son libre arbitre, tandis que sous le régime parlementaire ce droit se trouve exercé en fait par le cabinet et le ministre dirigeant. Les Adams rattachaient au type monarchique le gouvernement des États-Unis.

Faut-il donc assimiler la présidence à une royauté élective et temporaire, comme à l’inverse on qualifie parfois de « république héréditaire » la monarchie britannique[1] ? Ce serait méconnaître une distinction capitale. Le principe des monarchies veut que le roi, placé en dehors et au-dessus de tous les partis politiques, soit leur arbitre impartial. La règle du système américain est précisément l’opposé. Chef ou créature du parti qui l’a élevé au rang suprême, le président doit rester le premier agent, l’homme-lige de ses partisans, et servir leurs intérêts exclusifs. Ainsi l’exige le partisan government[2], qui paraît inséparable de la forme républicaine.

Stuart Mill compare le président des États-Unis à une sorte de premier ministre, inamovible pendant quatre années[3]. La différence pourtant est essentielle : « Il faut qu’un premier ministre parlementaire vive d’accord avec la majorité représentative ; le président américain n’a qu’à vivre[4]. » Les changemens d’opinion dans le pays ou dans les chambres n’ont pas prise sur lui. Sa puissance se trouve sans doute plus ou moins limitée par les diverses combinaisons constitutionnelles ; mais il peut gouverner et il a gouverné

  1. England’s Hereditary Republic, par le marquis de Blandford. — Montesquieu considérait l’Angleterre comme une « nation où la république se cache sous la forme de la monarchie. » De l’esprit des lois, liv. V, ch. XIX. Il faut noter que c’était en tout cas une république aristocratique.
  2. Ce terme signifie plutôt gouvernement en faveur du parti que gouvernement par le parti.
  3. Stuart Mill, le Gouvernement représentatif, p. 296-297.
  4. Woodrow Wilson, Congressional government, p. 249.