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que Xénophon à Coronée, ils liraient l’épée contre leurs concitoyens. Qu’était-ce que l’état pour les Cyrénaïques qui réduisaient la vie à n’être que la recherche du plaisir? Et qu’importait à Diogène ce qui se passait hors de son tonneau? La philosophie venait d’écrire une déclaration des droits de l’homme qui était mortelle pour la cité.

Athènes, envahie par l’indifférence politique, l’était aussi par la sensualité béotienne. Sans avoir l’excuse d’Aristophane, quand il faisait jouer ses Acharniens, des poètes vantaient, au théâtre, les jouissances de la paix, la bombance plantureuse, la satisfaction des bas appétits, et faisaient litière de tout ce qu’avaient honoré les vieux Athéniens. Pour ceux-ci, la patrie était la chose trois fois sainte; voyez ce qu’elle est devenue dans une pièce de la comédie moyenne : « Quels contes est-ce que tu nous débites là? dit Alexis. Et le Lycée, et l’Académie, et l’Odéon, niaiseries de sophistes où je ne vois rien qui vaille. Buvons, mon cher Sicon, buvons à outrance et faisons joyeuse vie, tant qu’il y a moyen d’y fournir. Vive le tapage, Manès! Rien de plus aimable que le ventre. Le ventre, c’est ton père ; le ventre, c’est ta mère. Vertus, ambassades, commandemens, vaine gloire et vain bruit du pays des songes ! La mort te glacera au jour marqué par les dieux ; et que te restera-t-il? Ce que tu auras bu et mangé; rien de plus. Le reste est poussière, poussière de Périclès, de Codrus, de Cimon. » Comme ces paroles répondent bien à une société qui semblait vouloir oublier, dans la joie et le plaisir, sa fin prochaine, et comme l’on comprend que l’épicuréisme soit sorti d’un tel milieu !

Le sombre tableau que trace Démosthène inquiète plus encore que cette joie bestiale : « Comment en sommes-nous tombés là? Car ce n’est pas sans cause que les Grecs, autrefois si ardens pour la liberté, sont devenus si dociles à l’esclavage. C’est qu’autrefois, Athéniens, vivait au fond des âmes quelque chose qui n’y est plus ; quelque chose qui a vaincu l’or des Perses, qui a maintenu la Grèce libre, qui l’a fait triompher sur terre et sur mer; quelque chose qui, n’étant plus, n’a laissé que ruine et confusion. Et quelle est donc cette chose toute-puissante? Rien que de simple, et où l’art n’entrait pas. Quiconque recevait l’or d’un tyran, d’un corrupteur de la Grèce, était en horreur à tous. Terrible affaire alors que d’être convaincu de vénalité ! Jamais, pour le coupable, ni pardon ni excuse ; toujours le dernier supplice. Aussi, les orateurs, les généraux de ce temps ne vendaient pas les occasions que donne la fortune. Alors on ne trafiquait pas de la concorde entre les citoyens, de la défiance où il faut vivre avec le barbare, et de tant d’autres choses. Aujourd’hui, tout se vend, comme au marché, et, à la place des vertus d’autrefois, nous avons un mal importé dans la Grèce, un mal qui la