Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux. Moins artiste que brocanteur, grand joueur, méprisant le danger, trop avide pour être bon administrateur, il possède le génie politique à un point tel que cette faculté maîtresse lui tient lieu de conscience. Sur les affaires extérieures, diplomatie et guerre, il a des aperçus dont ses dépêches ne laissent pas deviner l’étendue : langage terre à terre, obscurité voulue, répétition, contradiction, tout est calculé pour arriver au but. Nul ne le surpasse dans les négociations ; son coup d’œil stratégique le tromperait rarement, s’il pouvait renoncer à la prétention de régler le détail militaire, et se de faire des méfiances qui troublent la clarté de son jugement. Le goût de la perfidie, la fourberie habituelle, l’égarent trop souvent dans les relations avec les hommes.

Tandis que Retz conduit l’attaque, fournit le thème aux pamphlétaires, inspire les motions présentées au parlement, souffle les favoris de Gaston, dicte aux femmes leurs rôles ou surprend leurs secrets, fait mouvoir une armée d’agens et toute la tourbe des « importans, » le « gredin de Sicile » se cramponne au pouvoir, s’y défend par la ruse plus que par la force. Il est le maître de la position et n’entend pas se laisser déloger : c’est lui qui dicte les moindres démarches, les discours, les actes de la Régente. Les commis de l’État sont à ses ordres ; le conseil du Roi lui fournit ses instrumens. Parfois, il débauche les affidés de son adversaire, lui gués, Montrésor, La Boulaye, ou se croit trahi par les siens ; à certains momens, il accuse de défection jusqu’aux de Lyonne et aux Le Tellier ; ce n’est pas seulement à la guerre qu’on voit le même agent porter des nouvelles dans les deux camps. Comme aux approches d’une place assiégée, les mines et contre-mines se croisent et s’entre-croisent si bien, qu’on ne distingue plus pour quel compte se poussent les galeries. Les procédés diffèrent moins dans le fond que dans la forme : ce qui s’appelle attentat d’un côté devient coup d’état de l’autre. Mazarin a fait tracer, par une des plumes les plus fines du siècle[1], le code des coups d’état ; il n’a aucun scrupule à mettre ces maximes en pratique ; mais il craindrait d’user ce ressort en le faisant jouer trop souvent. Moins mesuré, plus pressé, le coadjuteur prodigue les attentats. Mêmes violences, même mépris du droit ; il n’y a que le nom qui change, selon que l’acte est entrepris pour la défense ou la conquête du pouvoir.

Cette guerre acharnée est coupée par quelques trêves, et ces accords passagers n’ont jamais qu’un but, la perte du même homme, du seul qui, par un singulier jeu de la fortune, fasse obstacle à des

  1. Gabriel Naudé.