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de Catalogne, entièrement acquis au cardinal et n’ayant pas l’habitude de réfléchir beaucoup, il devait accepter toute mission avec gratitude. Encore fallut-il, pour le décider, lui donner la dépouille de Turenne, le gouvernement d’Alsace, dont nous le verrons faire un singulier usage.

Mazarin espère compléter les lacunes de cet esprit un peu court, corriger les défauts de ce très brave soldat, suppléer à son manque de clairvoyance, à sa médiocrité, par une surveillance constante. Il compte maintenir la cour dans le voisinage, tout diriger lui-même, se donner l’émotion du jeu, recueillir la gloire du succès, négocier à la chaude, conclure la paix ! Illusion ! Cela marcha très mal ; l’armée d’Allemagne, qui devait être hardiment portée sur les derrières de l’ennemi, fut amenée lentement par la Lorraine, la Champagne et la Picardie en faisant d’affreux dégâts. Troublé par la fréquente intervention du ministre, faiblement secondé, Harcourt fut maladroit, malheureux. Investi le 24 juin, Cambrai fut secouru, le siège levé (3 juillet). Lorsque enfin, après vingt jours passés à former de nouveaux projets de siège, Mazarin, à bout de voie, revient au seul plan praticable, donne au général en chef l’ordre d’entrer en pays ennemi, il est trop tard ; pas de vues, nulle méthode, quelques dégâts en Brabant et un méchant compliment à Condé : « On a mis sous l’obéissance du Roi la ville qui porte le nom de votre Altesse[1]. » Bientôt l’ennemi ajoute La Motte-aux-Bois à ses conquêtes du printemps, reprend partout l’offensive jusqu’aux quartiers d’hiver ; on eut grand’peine à repousser ses partis de la Picardie et de la Champagne. Rien de plus misérable que l’issue de cette campagne de 1649, qui devait être pour nous heureuse et décisive. La paix était plus loin que jamais. La France porta la peine de la mesquine jalousie et des calculs tout personnels qui avaient fait écarter Turenne et Condé.

La direction donnée aux affaires de la guerre avait tout d’abord causé quelque surprise : pourquoi laisser dans l’inaction nos premiers capitaines ? Que signifiait ce siège de Cambrai ? On sut que « l’entreprise se faisait contre l’avis de Son Altesse, qui voulait porter l’armée dans le cœur du pays ennemi, » et l’on prêta au cardinal la pensée « de s’ériger en souverain et se faire prince de Cambrai, qui est un fief de l’empire[2]. » Mais le véritable sens des procédés de Mazarin ne put échapper aux intéressés et fut signalé à qui de droit. M. le Prince ne parut pas en tenir compte. Il resta

  1. Conquête sans importance en ce moment. La place de Condé fut presque aussitôt évacuée par les Français. — (Harcourt, Briord, à 31. le Prince, 29 août. A. C.)
  2. Lenet à M. le Prince, 7 juillet. A. C.