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paix et des arrangemens particuliers est réglé, la cour suit le mouvement et quitte Saint-Germain le 20 avril. M. le Prince l’accompagne ; pendant un court séjour à Paris, il a été assez mal accueilli, des femmes surtout ; le peuple ne connaît que le bras qui a frappé, voit en lui l’auteur de tous les maux infligés par le blocus. Après une halte à Chantilly, le Roi, la Régente, les princes et les ministres s’établissent à Compiègne (4 mai). Est-ce Condé qui va recevoir la patente de commandant en chef ? Chacun s’y attend ; les soldats le demandent à grands cris : déjà, au milieu des officiers allemands soulevés par Turenne à l’heure la plus critique, de Lyonne écrivait : « Si M. le Prince arrivait ici en poste, il serait acclamé et entraînerait tout[1]. »

Mazarin ne se sent pas la force de résister de front à ce courant ; mais il le détournera, trouvera un biais ; sa résolution est prise r M. le Prince ne commandera pas.

La saison était favorable ; tout prescrivait d’agir avant que l’ennemi ne se fît trop gros, à l’instant où il se lançait dans les entreprises, s’éparpillait ; peut-être même arriverait-on, par une poussée vigoureuse, à détacher M. de Lorraine, ébranlé, découragé par le malheur des siens à Lens. Il fallait une campagne stratégique, de marches et de combats, ne pas se préoccuper des villes perdues ou à prendre, chercher l’adversaire, le frapper, le réduire ; les places tomberont ensuite. Il y a bien dans nos rangs quelques germes de dissolution, mais les progrès du mal sont arrêtés. Si la répartition des troupes est incorrecte, au moins sont-elles disponibles et à portée. En somme, on a le nombre, la qualité. L’argent manque, mais on a bien fini par en trouver pour de coûteux travaux et d’inutiles dépenses. Qu’on n’objecte pas que l’ennemi refusera le combat, enfermera sa cavalerie dans les places, et nous ramènera au cheminement par les sièges ; devant une invasion sérieuse, il sera bien forcé de sortir ou de traiter. D’ailleurs, la contenance des Espagnols n’est rien moins que timide.

Mais voici que le cardinal semble repris de sa manie obsidionale ; s’abritant de l’avis d’un conseil, il écarte ce projet de grande envergure que lui-même avait conçu[2] : « Tous les officiers-majors ont unanimement déclaré qu’on ne pouvait songer à faire avancer les armées en pays ennemi, et qu’il n’y avait pas d’autre dessein à tenter que le siège de Cambrai[3]. » C’est l’entreprise dont la direction

  1. De Lyonne à Servien, 13 janvier 1649. (Papiers de Mazarin.)
  2. Opérations combinées des armées de Flandre et d’Allemagne ; très belle conception que nous décrivons ailleurs et à laquelle nous avons déjà fait allusion.
  3. , Mazarin à M. le Prince, 23 juin. A. C.