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cris d’admiration ; passe-t-il près de la Halle, les poissardes quittent leurs échoppes ; sur le quai, les blanchisseuses montent de leurs bateaux ; toutes voudraient l’embrasser. — La Boulaye s’est investi lui-même ; tempérament de pirate, effronté, partisan audacieux, que nous verrons à l’œuvre de bien des manières ; c’est lui qui attaquera les postes, ira chercher les convois : le « Gassion de Paris ! »

Tandis que l’armée du parlement s’organise avec fracas, celle du Roi resserre graduellement son étreinte. Cédant aux murmures de la rue, les « généraux » se décident à ordonner une sortie (23 janvier). La colonne suit la route de Fontainebleau, lorsque les troupes royales descendent des hauteurs. Menacés sur leur ligne de retraite, les frondeurs, après une légère escarmouche, reculent vers Vitry, puis se débandent. « On a vu retourner à petites troupes les bourgeois sortis le soir précédent au nombre de six mille. Ils ont trouvé horribles chemins où la plupart se fatiguèrent, quittant aucuns d’eux leurs souliers. A Juvisy, ils ne trouvèrent pas de pain, mais du vin, dont plusieurs centaines s’enivrèrent et s’endormirent dans les fossés, perdant leurs armes[1]. » — Le 29 janvier, nouvelle sortie, cette fois par trois portes. Les détachemens qui semblent menacer Vincennes et Saint-Denis ne réussissent pas à donner le change : Bourg-la-Reine est le véritable objectif, les stratégistes qui dirigent la défense de Paris voulant s’emparer de cette position pour dégager la route d’Orléans et faire passer un grand convoi qui arrive de la Beauce. M. le Prince les a devinés et prévenus. L’armée du Roi est là ; elle se montre ; les frondeurs se retirent et perdent le convoi. C’est le jour de « la première aux Corinthiens ; » les brillans cavaliers enrôlés sous la bannière de l’archevêque de Corinthe tournèrent bride sans dégainer, abandonnant leur colonel, le chevalier de Sévigné, qui se fit tuer avec une poignée de braves, dont Tancrède, le pseudo-duc de Rohan. — Tout restant immobile autour des murailles, M. le Prince se décide à troubler cet état d’atonie par l’attaque de Charenton. C’est le passage de la Marne et la seule position occupée dans la banlieue au nom du parlement. Là sont réunis les soldats qui ont quitté leurs drapeaux, la plupart de Paris et du régiment des gardes ; dangereux foyer d’embauchage !

Dans la matinée du 8 février, M. le Prince se place avec sa cavalerie en bataille sur « la hauteur de Fécamp[2], » au-dessus de

  1. Journal de Dubuisson.
  2. Au nord-nord ouest de Conflans et de Charenton se développait la petite « plaine de Fescan » ou « vallée de Fécamp ; » elle encadrait un cours d’eau qui, partant de Saint-Mandé et passant près de la Grande-Pinte, se jetait dans la Seine ou se perdait vers la Râpée. La hauteur, ou plutôt l’ondulation qui bordait cette plaine au sud, portait le même nom, qu’on ne retrouve pas sur les plans modernes.