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plongé la ville dans la stupeur ; au Palais on semblait accablé. Ce premier sentiment fit bientôt place à la colère. Quand nombre de grands seigneurs et quelques hommes de guerre vinrent se mettre à la disposition de « Messieurs, » le parlement se ranima ; le coadjuteur enflammait tout le monde. L’arrivée des princes dissidens causa un grand émoi : Conti était un drapeau ; la maison royale ne se rangeait donc pas tout entière à côté de cette régente espagnole et de son favori italien. Grande joie ! le gouverneur de la Bastille, du Tremblay, frère du père Joseph, remet sa forteresse (13 janvier) ; l’Arsenal est occupé : le peuple se trouve maître sans combat des fortes positions où Condé avait voulu maintenir les troupes royales. Et le lendemain Vitry amène aux insurgés tout un régiment, celui de la Reine. L’enthousiasme est à son comble ; chacun veut partir en guerre, s’affuble de coiffures, d’insignes militaires. Il faut fixer par un règlement le prix des « pots[1], » cuirasses, mousquets, pistolets, etc., afin d’empêcher les spéculateurs d’exploiter l’empressement des bourgeois à se barder d’armes (30 janvier). Les quinze cents clercs du Palais sont formés en bataillon ; M. d’Elbeuf a promis de les faire conduire par son fils (11 janvier). On crée force compagnies de gardes, nombre de régimens à pied et à cheval, avec des noms sonores et de brillans costumes ; chacun a le sien, jusqu’à l’archevêque de Corinthe, coadjuteur de Paris.

Ge qui amuse moins, c’est de payer un lourd supplément de taxe ; on se console en écoutant les « continuels tambours dans les rues, » en voyant « poser les corps de garde sur le soir[2]. « Il y a toute une pléiade de généraux, investis par les acclamations du peuple ; peut-être dans le nombre y en a-t-il deux dignes de commander, quoique « du second rang, » le maréchal de La Motte-Houdancourt et le duc de Bouillon ; c’est à peine si leurs noms sont connus. Les multitudes égarées ont une sorte d’aversion instinctive pour les vrais hommes de guerre.

Beaufort, La Boulaye, voilà les favoris de la foule !

Le premier s’est hardiment évadé du donjon de Vincennes le 31 mai 1648 ; autorisé à résider au château d’Anet chez son frère Vendôme, il accourt et se jette dans la capitale insurgée (13 janvier 1649). Déclaré absous par arrêt du 19, il devient aussitôt le grand entrepreneur de mouvemens populaires. Brillant au feu, plus encore dans la rue, capable de charger vigoureusement, de frapper à coups d’épée ou de pistolet, il excelle surtout à caracoler sur le pavé, secouant sa longue chevelure blonde, arrachant aux femmes des

  1. Petits casques de fantassins.
  2. Journal de Dubuisson.