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souveraines avaient repris leurs assemblées pour surveiller l’exécution de la déclaration qu’elles-mêmes violaient par ces réunions. Considéré comme l’appui d’un gouvernement odieux, M. le Prince était froidement accueilli partout, et quand il assistait aux séances du parlement, sa présence, son attitude, y soulevaient presque toujours quelque émotion.

Les frondeurs ne manquaient jamais une occasion de réveiller son humeur ; nul ne s’entendait à ce manège comme le président Viole, singulier caractère, de vieille famille de robe, homme de plaisir, remuant, hardi de parole, « quoique la peur lui fût naturelle, » grand ami de Chavigny et destiné à devenir, par une de ces évolutions si fréquentes en temps de troubles, très actif, très dévoué serviteur de celui dont il échauffe aujourd’hui la bile. Comme ce magistrat débitait une de ses diatribes habituelles, Condé, impatienté, se leva, et du bras fit un geste qu’on voulut prendre pour une menace. Il fut obligé de se rasseoir au milieu des clameurs. Le lendemain (17 décembre), le conseiller Brévannes-Aubry, brodant sur un thème du président de Novion, comparait la déclaration d’octobre à une « excellente peinture faite de la meilleure main et qu’un méchant ouvrier a gâtée en la touchant ; » cette fois encore Condé voulut couper la parole à l’orateur : « Le premier président a seul le droit d’interrompre ici, » s’écrie Brévannes, et le premier président donne raison au conseiller.

Mathieu Mole, ami sincère de M. le Prince et de sa maison, soutenu dans cette disposition par son fils l’intendant Champlâtreux, et par son beau-frère, le sage et judicieux Nesmond[1], subordonnait cet attachement aux intérêts, à la dignité de sa compagnie et surtout au service du Roi, qu’il ne confondait pas toujours avec la cause de Mazarin.

M. le Prince semble suffisamment engagé dans le conflit ; Gaston marche avec lui. Si on attend, l’accord peut être troublé, de nouveaux liens se formeront. Les troupes qui retournaient de Flandre à Brisach ont changé de direction ; il en vient d’autres du Nord ; toutes se rapprochent de Paris. Voici donc le moment de reprendre le projet différé deux mois plus tôt. Dans un conseil restreint et cependant encore assez nombreux, Mazarin fait connaître les intentions de la Régente : Sa Majesté veut mettre un terme au progrès du désordre, briser la résistance du parlement et de l’Hôtel de ville, qui font

  1. Edouard Molé de Champlâtreux, intendant de Champagne, souvent attaché aux armées de M. le Prince. (Voir t. IV, p. 289 et passim.) Nous avons assez parlé du président de Nesmond. (T. ni, p. 203 et passim.) Aimé et apprécié de M. le Prince, bans être écouté de lui comme jadis de son père, il l’assiste souvent, mais ne le suit ni dans ses incartades ni dans ses suprêmes violences.