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du devoir pastoral, de s’essayer au rôle que jouaient les capitaines du peuple dans certaines républiques italiennes. Si bien arrangée que fût la mise en scène, ce prologue n’eut qu’un succès médiocre ; c’était pourtant une révélation. Le futur cardinal de Retz ne s’était encore signalé que par des bravades et des aventures qui n’étaient guère séantes pour son état. On s’aperçut de l’influence qu’il avait acquise : — sur le peuple, par son allure intrépide et une apparence de dévoûment à la cause populaire ; — même sur son clergé, généralement respectable, et qu’il aurait pu scandaliser par ses mœurs, mais qui voyait en lui un brillant orateur de la chaire, un habile administrateur, un savant théologien, enfin un adversaire résolu des molinistes. Ses relations avec M. le Prince étaient anciennes et amicales. Il avait hâte de savoir jusqu’à quel point ses visées ambitieuses pourraient être secondées par cette redoutable épée. L’entretien, plusieurs fois renouvelé, fut cordial, plein d’abandon au moins apparent ; mais la conclusion ne répondit pas aux espérances du coadjuteur. Sondé à fond, pressé, Condé finit par éconduire son interlocuteur avec ces paroles : « Je m’appelle Louis de Bourbon, et je ne veux pas ébranler la couronne. »

Condé n’avait pas le tempérament félin de Henri de Guise, dont on se plaisait alors à lui prédire la carrière et peut-être la fin. Méprisant les allures théâtrales, les entrées bruyantes, les cortèges fastueux, il négligeait les câlineries à la foule, les ménagemens, les ruses qui déguisent et servent les aspirations des grands ambitieux. Pour ceux qui voulaient pousser la révolution jusqu’au bout, il « manquait de fermeté dans le dessein[1], » et les fauteurs de répression à outrance ne trouvaient en lui ni l’empressement, la docilité insouciante de certains instrumens commodes, ni la conviction profonde, la sévérité froide, uniforme, inflexible, qui écrase les peuples sans merci comme sans remords. La petite-fille de Philippe II se faisait illusion si, en rappelant M. le Prince, elle pensait au duc d’Albe.

« Il marcha, sans hésiter, d’un pas égal, entre la faction et la cour. La gloire de restaurateur du public fut sa première idée ; celle de conservateur de l’autorité royale fut la seconde. »

Qui a dit cela ? Le plus infatigable des adversaires, le plus passionné des ennemis. Nous avons déjà prononcé le nom du coadjuteur ; plus loin, nous reparlerons de son rôle, le mot lui convient ; mais puisque nous venons de faire un premier emprunt aux plus célèbres, aux plus précieux, aux plus éloquens des mémoires, si

  1. Retz.