garanties à personne, et les pessimistes craignent que le jeune homme à frasques ne soit un souverain à surprises.
Pendant que Berlin est plein de gens qui ne savent à quel saint se vouer ni ce qu’ils doivent espérer ou craindre, il y a en Allemagne deux provinces, qu’on appelle le Reichsland, où l’on vit exempt de toute crainte comme de toute espérance. L’Alsace-Lorraine se console de ses souffrances en pensant que, quoi qu’il arrive, son sort ne peut empirer, que l’empereur Frédéric n’ayant rien pu ou rien voulu faire pour elle, il pourra mourir sans qu’elle ait rien à regretter. Cette fois, son impériale générosité s’est trouvée en défaut. Dans la proclamation qui a été affichée à Strasbourg le 19 mars, il a paru approuver pleinement le régime de compression brutale et tracassière que subissent depuis trop longtemps les provinces annexées, le système d’administration ingénieusement barbare auquel le prince de Hohenlohe a eu la triste gloire d’attacher son nom.
L’empereur Guillaume disait, le 2 avril 1873, « que la nationalité allemande était bien effacée dans les provinces conquises, qu’il fallait user d’indulgence et de patience. » Il ajoutait : « Il ne serait ni bon ni désirable que des peuples arrachés ainsi à leurs anciennes habitudes demeurassent indifférens. C’est par la douceur que nous les gagnerons. » On dit aujourd’hui : « Molestons-les ; c’est par les vexations et les rigueurs que nous parviendrons à les réduire. » Et on ajoute : « La faute en est à la France ! » et, à force de le répéter, on finira peut-être par le croire. On regrette, semble-t-il, de n’avoir pas inséré dans le traité de Francfort un article portant que le gouvernement français serait tenu de dire chaque année aux Alsaciens : « vous n’avez jamais été la chair de notre chair, nous ne vous avons jamais aimés, et nous nous consolons sans peine de vous avoir perdus. Attachez-vous à vos maîtres, qui seuls vous aiment et sont capables de faire votre bonheur. » Quand un enfant gâté, déraisonnable et maladroit, se cogne contre le mur, c’est au mur qu’il s’en prend ; c’est au mur que s’en prennent M. de Bismarck et le prince de Hohenlohe. Il n’est permis de s’annexer un peuple que lorsqu’on se sent en état de le bien gouverner. Mais on paraît croire à Berlin que la force a tous les droits, que le malheur n’en a point. Il eût été digne de Frédéric III de se souvenir que les devoirs les plus sacrés sont ceux qu’assume un conquérant. « C’est à lui, disait Montesquieu, de réparer une partie des maux qu’il a faits. Le droit de conquête est un droit malheureux, qui laisse à payer une dette immense pour s’acquitter envers la nature humaine. » Le conquérant qui ne cherche pas à s’acquitter mérite d’être regardé comme un failli.
G. VALBERT.