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l’habitude d’adorer le soleil levant, et ils se demandent avec angoisse si Frédéric III est un soleil qui se lève ou un soleil qui se couche. Ils errent autour du palais comme des âmes en peine, et on lit leur inquiétude sur leur visage. « Le premier devoir d’un souverain, pensent-ils, est de se bien porter ou de mourir. Un prince malade est bien embarrassant. Si vous étiez sûr de régner quelques années encore, nous vous serions tout acquis ; mais il est dur de se compromettre pour un empereur qui ne vivra pas. Nous avons le cœur trop humain, trop miséricordieux pour ne pas plaindre vos souffrances ; de votre côté, plaignez nos embarras. Nous ne savons à quel saint nous vouer. »

Cette maladie cruelle et capricieuse, qui étonne tour à tour par la rapidité menaçante de ses progrès et par ses brusques arrêts, a jeté Berlin dans un véritable désarroi ; on n’y voit que des gens qui ne savent où placer leurs espérances, et les placemens d’espérances sont une grosse affaire dans la vie. Quand vers le milieu du mois d’août 1715, comme l’a raconté Voltaire, Louis XIV fut attaqué de la maladie qui devait l’emporter, quand ses jambes s’enflèrent, quand la gangrène commença à paraître, le duc d’Orléans qui, au voyage de Marly, était resté seul, vit toute la cour se rassembler autour de lui. Un empirique donna au roi un élixir qui fit merveilles ; il mangea, et l’empirique affirma qu’il guérirait. « Si le roi mange une seconde fois, dit le duc d’Orléans, nous n’aurons plus personne. » Si l’empereur Frédéric paraissait recouvrer la santé, tout le monde lui reviendrait bien vite, les libéraux en tête, car ces mouches aiment le miel. Mais dans ses crises de mortelle langueur, tous les regards se reportent sur le prince héritier, qu’on fête comme le saint du jour. Malheureusement, le prince Guillaume est encore une énigme. Autant le père semblait limpide, autant le fils semble mystérieux. Ses admirateurs affirment qu’il a de grands talens, du génie. D’autres prétendent, au contraire, que ce n’est qu’un soldat, qu’il ne croira jamais qu’à son sabre. On le dit populaire dans l’armée ; il y a cependant des généraux qui se défient de lui, qui l’accusent de présomption, d’étourderie et lui attribuent un goût dangereux pour les innovations téméraires.

Il ne s’est fait connaître encore que par ses discours. Si mystérieux qu’il soit, ce soldat aime à parler. Les Hohenzollern sont ou des taciturnes ou des orateurs. Frédéric-Guillaume III ne parlait que par monosyllabes, n’achevait pas ses phrases ; Frédéric-Guillaume IV arrondissait les siennes : il était le plus périodique des souverains. Le prince Guillaume n’est pas prolixe, mais il a la parole hardie et même aventureuse. Ce qu’on sait le mieux de lui, c’est que dès sa jeunesse il a senti le besoin de prendre le contre-pied des opinions de ses parens. Il savait que leur libéralisme les avait rendus suspects, que sa mère était regardée de travers dans les cercles dirigeais. Lorsque au mois de février 1858, peu de jours après son mariage, la princesse