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comptes, des explications, ne l’appelât sans cesse au palais et ne lui permît pas d’administrer le monde du fond des bois. Paix au dehors ! paix au dedans ! Faudrait-il que M. de Bismarck renonçât à la politique militante et agressive ? Apprendre à son âge d’autres méthodes, un autre art de gouverner, cette nécessité lui semblait dure. Mais Frédéric III est si malade que, selon toute apparence, il devra se contenter de régner, et, après comme avant, c’est M. de Bismarck qui gouvernera.

Comme s’il eût voulu se venger des inquiétudes qu’on lui avait données ou de l’ordre qu’il avait reçu de se transporter à Leipzig pour y attendre son roi, le chancelier a tenu à célébrer sa victoire avec éclat, à faire savoir à l’univers qu’il était venu à bout de son entreprise et que le champ de bataille lui était resté. Un projet de mariage lui a fourni l’occasion de s’écrier une fois de plus : « Ne dérangez pas mes combinaisons, noli turbare circulos meos. La nation est avec moi, et si vous me manquiez de déférence, je susciterais dans tout le pays une agitation qui vous causerait plus de souci que vous ne m’en avez jamais donné. » En même temps, certaines feuilles officieuses commençaient une campagne qui a étonné l’Europe et scandalisé les simples. « De fortes émotions, dit M. Edouard Simon, que j’ai déjà cité, étaient réservées à l’empereur et à l’impératrice dès les premiers jours de leur rentrée dans leurs états. Les journaux, et dans le nombre quelques organes auxquels on attribuait des attaches gouvernementales, s’occupaient des affaires d’intérieur de la famille impériale ; ils mêlaient à des rumeurs mal garanties des critiques contre les souverains et surtout contre la souveraine. » On se plaint que le respect s’en va ; on se plaint aussi que l’Allemagne est minée par le socialisme, et pour étouffer une propagande dont on signale sans cesse les dangers, on recourt aux lois d’exception, au petit état de siège. Mais, tout en prêchant le respect, on donne de fâcheux exemples ; on a l’air de dire : « Je crois au droit divin, pourvu que mon maître me plaise. Peuples, vénérez votre souverain ; je ne le vénère moi-même que tant qu’il est de mon avis et qu’il tient compte de mes intérêts. Je sers mon roi, mon empereur, mais à la condition qu’il m’autorise à me servir de lui comme je l’entends. » Les peuples écoutent et les socialistes concluent.

L’empereur Frédéric a conservé tous ses ennemis, il savait bien qu’il ne les perdrait pas ; mais il ne s’attendait point à perdre ses amis, et sans doute la défection des libéraux l’a chagriné. Il a pour lui les progressistes, ainsi que les pacifiques, les débonnaires, le petit bourgeois, l’ouvrier conservateur, le paysan, l’homme qui vit de sa peine, celui que M. de Bismarck appelle le pauvre homme. Mais le pauvre homme vit dans sa chaumière ou dans sa boutique ; on ne le voit guère et il parle peu. Quant aux ambitieux, aux intrigans, aux politiciens, ils sont fort perplexes, fort troublés. Ils ont