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s’y est tenu et n’a point paru la trouver indigne de lui. Mais il n’a pas laissé ignorer que le système de gouvernement que pratiquait son père n’était pas toujours conforme à ses goûts, qu’il désapprouvait certains actes, que certains procédés lui semblaient incorrects ou fâcheux.

Ce père et ce fils ne se ressemblaient guère. Par son application à son métier, par son zèle pour les intérêts de l’état, par la fermeté de son bon sens, par sa persévérance dans ses desseins, par sa docilité aux bons conseils, par sa laborieuse patience, le roi Guillaume s’est acquis à juste titre le renom d’un grand roi ; mais il n’avait assurément ni un grand esprit ni un grand cœur. Jamais homme ne fut plus personnel ni moins enclin à faire des sacrifices au bonheur des autres ; jamais souverain n’eut plus de préjugés et ne fut moins disposé à s’entendre avec son siècle. Il a respecté la constitution qu’il avait jurée, il a toujours eu l’air de la subir, et dans son manifeste du 4 janvier 1882, il revendiquait une fois de plus son droit de diriger personnellement la politique de son royaume et de son empire.

il a su choisir ses instrumens, ses outils. Résolu dès les premiers jours de son règne à travailler à la grandeur militaire de la Prusse et prévoyant les difficultés qu’il aurait avec son parlement, il mit à la tête de ses conseils l’homme qui était seul capable de braver toutes les résistances, d’affronter tous les chocs et d’enchaîner la fortune à une politique de défi et de combat. Pendant l’espace de plus de vingt-cinq ans, ce grand ministre s’est rarement trompé, et l’empereur Guillaume, si défiant qu’il fût, lui a conservé jusqu’au bout sa confiance. « Il faut le supporter, » disait-il ; et il a fait ce qu’il disait, il a supporté avec une résignation exemplaire les nerfs orageux de cet homme de génie, son humeur irritable et violente. Mais il n’a jamais défendu contre lui un seul de ses amis ; il les a sacrifiés l’un après l’autre sans qu’il lui en coûtât autre chose qu’un soupir. Il croyait moins au génie qu’au bonheur, et M. de Bismarck lui avait fait gagner de si belles parties, qu’il ressentait pour lui la vénération superstitieuse qu’a un joueur heureux pour son fétiche. Si d’aventure M. de Bismarck avait commis une erreur grave, s’il avait essuyé quelque échec, si son bonheur avait été moins constant, il eût été sacrifié à son tour, et cette fois encore il n’en aurait coûté à son maître qu’un soupir, qui aurait été peut-être un soupir de délivrance.

Il faut avouer que, dans les discussions qu’ils eurent ensemble, le beau rôle fut souvent pour le ministre. Au moment d’entreprendre et d’oser, le souverain était en proie aux perplexités, aux inquiétudes, aux scrupules ; il fallait le rassurer, l’encourager, le pousser. Au lendemain de la victoire, son seul scrupule était la crainte de ne pas prendre assez. Il prêchait aux peuples le respect du droit divin, il ne l’a jamais respecté dans les autres ; jamais il n’hésita à briser une