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silence, le nez penché sur leur ouvrage. Au fond, une jeune fille, une petite servante ou orpheline, tout en blanc aussi, assise devant une table, regarde devant elle, et, au milieu de tous ces visages ridés et flétris, nous ravit par la fraîcheur naïve de sa jolie frimousse fraîche, rose, éveillée comme une primevère qui pointe parmi les feuillages morts d’une autre saison. Dans ce cadre restreint, la facture habile de M. Walter Gay prend toute sa valeur, mieux peut-être que dans sa vieille femme de grandeur naturelle qui récite son Benedicite. Le sentiment n’est pas ici moins juste ni moins profond, mais la facture y est moins soutenue. Une étude dans les mêmes proportions, par M. Butler, la veuve, prête aux mêmes observations ; les parties inférieures sont négligemment brossées, la tête est traitée avec une force d’expression supérieure. L’intérieur d’orphelinat en Hollande, peint par M. Mac-Ewen, sous le titre d’une Histoire de revenant, montre des recherches du même genre, et presque aussi heureuses, que celles où réussit si bien M. Walter Gay.

Les Hollandais et les Allemands de Munich, leurs imitateurs, ont été parmi les premiers à remettre en honneur ces amusantes complications de la lumière éparse à l’extérieur ou emprisonnée dans les intérieurs, grâce auxquelles les figures et les objets prennent des aspects plus rares, plus vifs, dramatiques même et saisissans jusqu’à l’étrange et jusqu’au fantastique. Pour les Hollandais, c’était affaire de tradition, puisque leurs plus grands artistes, Rembrandt, Pieter de Hoogh, Van Ostade, Van der Meer, n’ont vécu que de ces jeux subtils et séduisans du clair-obscur. M. Israels n’a fait que reprendre leur suite, avec une lourdeur brumeuse dont il n’a jamais pu se débarrasser, mais avec un sentiment d’intimité juste et profond ; qui attire toujours, comme on l’éprouve en regardant sa Conteuse et sa Garde-Malade. Dans ce brouillard hollandais, les Allemands ont apporté à leur tour leur goût patient des observations plus minutieuses et plus sèches, et c’est ainsi que nous avons vu se former cette école raffinée et incisive, un peu pédante parfois dans ses négligences volontaires et ses fantaisies préméditées, dont M. Kuehl est l’un des représentons les plus agréables. M. Kuehl, qui débuta aussi, l’on s’en souvient, par des études charmantes faites dans les orphelinats d’Amsterdam, expose, cette année, deux tableaux, les Joueurs de cartes et le Maître de chapelle, où le procédé, si répandu aujourd’hui, des lumières frisantes employées à dégager les profils et faire valoir les visages, est mis en œuvre avec une grande habileté. Dans le Maître de chapelle surtout, les physionomies du vieil organiste, les mains sur son clavier, et des enfans de chœur placés à ses côtés, témoignent d’une vivacité d’observation qui n’est point commune. Il n’y a rien de banal, non plus, du reste, dans la façon dont