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feux, se mêlant dans le ciel épais aux nuages sombres, donne à la scène un aspect d’une tristesse infinie.

C’est à l’étranger, surtout en Amérique, que les tableaux de M. Jules Breton sont le plus chaudement appréciés. A-t-on lieu de s’en étonner, quand on sait combien les poètes rustiques et les romanciers domestiques ont de succès parmi les nations de race germanique, scandinave ou anglo-saxonne ? La littérature populaire, celle, qui s’adresse aux familles, aux femmes, aux enfans, s’est développée, depuis longtemps, chez tous ces peuples, sans y perdre ce caractère de simplicité, de sensibilité naturelle et naïve, d’observation franche et délicate qu’elle, retrouve bien rarement chez nous plutôt par l’effort de quelques esprits distingués que par le courant naturel du goût public. Depuis un certain temps, les étrangers, possédant déjà une littérature populaire, se sont mis en tête de posséder un art populaire, et il faut reconnaître qu’ils sont en train d’y réussir merveilleusement. Par les journaux illustrés d’Angleterre et d’Amérique, nous savons déjà quelle justesse d’observation on y apporte, le crayon à la main, pour définir les types contemporains, pour analyser des visages de vieillards, de jeunes femmes, d’enfans, pour reproduire leurs attitudes et leurs mouvemens dans ce qu’ils ont de plus particulier et de plus expressif. Il restait aux Américains, sinon aux Anglais, à apprendre le métier de peintre ; depuis dix ans, ils sont venus, pour cela, se mettre à l’école chez nous, soit dans les ateliers publics de la rue Bonaparte, soit dans des ateliers privés sur les deux rives de la Seine. Et voilà que ce peuple jeune, laborieux, plein de sève et plein de volonté, recommençant à son profit cette opération que nous fîmes autrefois aux dépens des Flandres et de l’Italie, va se trouver incessamment en possession d’un art nouveau par le rajeunissement des traditions du vieux moufle… Si parmi les étrangers apportant au Salon, dans la peinture familière, une note particulièrement émue et pénétrante, un maniement délicat et expressif des jeux infiniment variés de la lumière et de l’atmosphère, nous retrouvons cette année des Hollandais, des Suédois, des Suisses, des Allemands déjà connus, nous y pouvons saluer aussi, quelques Américains d’une distinction rare. L’Asile, par M. Waker Gay, est un morceau exquis où la saveur des colorations, la sûreté, la franchise, le charme de la touche, s’allient, sans effort à une observation extraordinairement pénétrante, et à un sentiment naïf et profond d’une gravité admirable pour charmer le regard et retenir l’esprit. Rien de plus simple, rien de plus banal ; dans une chambre d’hospice, propre, claire, aux vitrages garnis de rideaux blancs à travers lesquels on entrevoit ou plutôt on pressent les verdures fraîches mêlées à des rougeurs de murs en brique, trois vieilles femmes, en vêtemens propres et clairs, tricotent en