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Combien il est difficile de trouver le juste moule de sa pensée, combien il est malaisé d’être aussi bon ouvrier que bon observateur ! Les longs efforts qu’a faits M. Roll pour arriver à un résultat insuffisant encore peut-être pour son rêve d’artiste nous en sont bien la preuve. Nous en avons une autre preuve dans les efforts que continue à faire M. Lhermitte pour élever chez lui le peintre au niveau du dessinateur. Si M. Lhermitte était un artiste moins sérieux qu’il n’est, moins soucieux de l’insaisissable perfection, il se contenterait sans nul doute du succès très Légitime que le public fait à son Repos, et il s’en tiendrait là. La scène, en effet, est charmante et faite pour séduire les yeux qui aiment à la fois la vérité et la grâce. Une jeune, une belle paysanne, d’un type correct et pur, presque classique, comme on en trouve parfois même dans nos campagnes septentrionales, est assise, en plein champ, près d’une meule, donnant le sein à son marmot, la tête un peu tournée, par un mouvement, familier aux paysannes de M. Lhermitte, qui dégage agréablement rattache robuste du cou hâlé. Le nourrisson s’en donne à cœur joie ; il tire tant qu’il peut, en agitant ses jambettes, sur la gorge pleine et fraîche. A côté de la jeune femme, son mari, un jeune et beau paysan, accoudé sur une gerbe, la regarde en souriant. Cette scène de famille est traitée, au point de vue du dessin, avec l’ampleur biblique qu’on admire dans les fusains de l’artiste. On y apprécie notamment les figures de la mère et de l’enfant, très supérieures à celle de l’homme, dont le type semble un peu bellâtre et l’attitude plus banale. Cependant le pinceau de M. Lhermitte ne possède encore ni la même fermeté ni la même liberté que son crayon. Si visible que soit l’effort déjà heureux fait par lui pour réduire ce pointillé sec et minutieux, souvenir du travail du dessinateur, qui fatigue l’œil en détruisant les ensembles colorés, il lui reste encore beaucoup à faire pour acquérir toute la vigueur de touche, toute la franchise d’exécution, qu’exigent la vigueur même de ses contours et la franchise de sa composition.

Le poète des champs le mieux en possession de lui-même, le plus expert à tirer d’un sujet tout le charme qu’il peut contenir, le plus savant à revêtir son impression de la forme exacte et complète qui lui convient, reste encore aujourd’hui M. Jules Breton. Il est convaincu, comme tous les vrais artistes, qu’en peinture ce n’est ni la dimension ni la quantité des œuvres qui comptent, mais uniquement leur perfection ; aussi le voit-on reprendre fréquemment le même sujet, non par pauvreté ni paresse d’imagination, mais par ce besoin naturel de pousser à la perfection une conception personnelle et favorite qui a fait faire tant de répétitions sublimes à tous les grands artistes, depuis Léonard de Vinci jusqu’à