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Que de paroles chrétiennes, dans la bouche de ce païen, qui ont préparé le triomphe de la nouvelle loi, en établissant un passage facile entre elle et sa philosophie ! Les premiers pères de l’église sont des platoniciens, et ils pouvaient lire dans le Phédon ce qu’ils ont lu dans les Écritures sur la nécessité d’une révélation d’en-haut pour arriver à la certitude absolue. Lorsque Platon dit, dans le Criton : « Ne rendez pas injure pour injure ; » dans le Gorgias : « Mieux vaut souffrir une injustice que de la commettre ; » et qu’à la fin du Sophiste, il donne une démonstration de l’existence de Dieu que l’évêque d’Hippone lui a empruntée, il est dans le pur esprit de l’évangile ; et n’est-ce pas la doctrine augustinienne de la grâce qui se trouve dans ce texte du Ménon : « La vertu ne s’enseigne pas, c’est un don de Dieu ? » Dans le juste qu’il montre chargé de chaînes, battu de verges, déchiré par la torture, attaché à l’arbre de malheur, et dépouillé de tout excepté sa justice, les pères ont cru voir la figure prophétique de Jésus[1]. Enfin, il demande, pour le pécheur, le repentir, même l’expiation ; et quelle différence y a-t-il entre la suprême récompense de l’orthodoxie chrétienne et celle que Platon réserve aux bienheureux : la vue claire de la vérité, de la beauté éternelle et du bien absolu ?

Mais ces grandes créations philosophiques et religieuses sont fatales aux sociétés où elles se forment. Le christianisme a été un dissolvant pour l’empire romain, qui, durant deux siècles, avait donné la paix à la terre, et la philosophie a contribué à faire mourir la liberté grecque, de qui était né le siècle de Périclès. Il est vrai que si le présent meurt de ces enfantemens, l’avenir en vit. Athènes, même tombée dans la servitude, ne s’est-elle pas glorifiée de ces citoyens qui lui avaient été inutiles aux jours de sa puissance, et qui, au milieu de ses misères, la couronnaient d’une gloire immortelle ?

III.

Platon a rempli le monde grec de ses idées ; Aristote régnera sur le moyen âge et une partie des temps modernes. C’est pourquoi, dans une histoire générale de l’esprit hellénique et de son influence

  1. Gorgias, XXVIII, t. I, p. 345 et, au IIe livre de la République, t. II, p. 24… γυμνωτέος δὴ πάντων πλὴν διϰαιοσύνης. Le Xe livre de ce traité fameux se termine par le récit que fait Her l’Arménien de ce qu’il a vu chez les morts. Platon n’est pas plus heureux qu’Homère et Virgile dans la description de la vie d’outre-tombe. Les tourmens sont variés, les plaisirs ne le sont pas, et il en sera ainsi dans toutes les descriptions du monde invisible. Du moins Platon affirme-t-il, dans ces pages, sa croyance au système des peines et des récompenses.