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quand Bastien-Lepage a voulu s’étendre, quel sentiment de vide et de creux donnait ce procédé à peine bon pour de petites figures ; encore Bastien-Lepage avait-il senti vite le péril et songeait-il à s’en garer. Le danger que courent les seconds, c’est de perdre les mêmes qualités par des raisons contraires, par l’éparpillement excessif des éclairages et par l’évanouissement des formes sous la morsure des lumières. Il n’en reste pas moins vrai que plusieurs de leurs tentatives sont curieuses et intéressantes. M. Paul Leroy, l’un des derniers prix du Salon, a fait un Portrait de son pire qui offre quelques parties excellentes. La tête, douce, affable, vivante, est brossée avec une vivacité ferme et précise dans une pâte un peu coulante, mais d’une fraîcheur délicate et d’une solidité suffisante. Les mains, sérieusement modelées, les vêtemens noirs, savamment assouplis, sont aussi l’œuvre d’un praticien habile. Pourquoi M. Paul Leroy, victime de la mode naturaliste qui refuse à l’artiste le droit de réfléchir et de simplifier, a-t-il eu la malencontreuse idée de placer derrière son père une cheminée encombrée de bibelots et un fond d’appartement dont les lignes aussi discordantes que les colorations troublent les lignes et les colorations de la figure, éparpillent l’attention et compromettent gravement l’intérêt principal du tableau ? M. Friant, un miniaturiste délicat, dont les premiers essais ont été justement remarqués, est en train de se perdre, s’il ne reprend au plus tôt possession de lui-même et ne résiste mieux à l’envahissement du détail inutile. Son petit Portrait de Mme P.., une Parisienne de physionomie intelligente et délicate, d’allure distinguée, un peu fatiguée, assise dans son salon, près de son piano, pousse la recherche de la finesse jusqu’à l’extrême minutie ; un pas de plus, on tombe dans toutes les sécheresses de la photographie peinte. Le pis est que cette figurine, déjà mince et sèche, disparait presque complètement sous l’amoncellement de tous les meubles et bibelots qui encombrent son salon trop petit. Dans une toile plus importante, les Canotiers de la Manche, M. Friant a appliqué la même subtilité d’analyse à une collection de figures, de grandeur naturelle, assises en plein air autour d’une table. Le fond ici est mieux simplifié, les physionomies joyeuses de tous ces canotiers et canotières sont déterminées avec une précision singulière, mais le défaut du système y éclate en plein. Ce tableau, plein de qualités remarquables, se fait à peine regarder, parce qu’en réalité il manque de la qualité fondamentale, un arrangement bien équilibré, un effet d’ensemble net et expressif. Toutes ces figures minces, sans relief, sans épaisseur, plaquées les unes sur les autres comme des feuilles transparentes, s’évaporent dans l’indifférence de la lumière éparpillée. Si c’est là que doit conduire la théorie du plein air, il est