Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
BENJAMIN CONSTANT

Un libéral qui n’est pas optimiste, un sceptique qui a le système le plus impérieux et le plus dogmatique, un homme sans aucun sentiment religieux, qui a écrit toute sa vie un livre sur la religion, et destiné à la remettre en honneur, un homme d’une moralité très faible, qui appuie tout son système politique sur le respect de la loi morale, et encore un homme d’une rectitude merveilleuse de pensée et d’une extraordinaire incertitude de conduite, presque grand homme par l’intelligence, presque enfant par la volonté, presque au-dessous de la moyenne, pour n’avoir jamais su ce qu’il voulait, infiniment au-dessus, pour avoir su exactement ce qu’il pensait, chose peu commune ; voilà, non pas plus de contrariétés qu’il en existe dans chacun de nous, mais, en un homme qui a tenu une très grande place, fourni une carrière brillante, laissé derrière lui un sillon profond et des semences qui ont levé, un sujet d’études d’un singulier intérêt, et une certaine complexité d’idées et de sentimens assez curieux à démêler.


I

Il était de race pensante, d’une famille où les cerveaux avaient beaucoup travaillé, où la réflexion, le système, le jeu des idées étaient comme héréditaires. Son arrière-grand-père, David Constant de