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Majesté veut réellement ce qu’elle me fait l’honneur de me confier, mon intime conviction me presse de lui déclarer qu’elle convoquera les six cents députés provinciaux comme tels et que ceux-ci se sépareront comme états-généraux. Pour empêcher cela, la volonté de votre Majesté ne suffit pas. — Derrière ma volonté, dit le roi d’un air pensif, il y a encore ma puissance. — Je n’ai pas caché à votre Majesté l’expression de ma conscience, reprenait le chancelier. Vous êtes maître d’agir, mais vous n’êtes pas maître de ce qui résulte de la force des choses. » Puis le roi, après un moment de silence, ajoutait : « Ce que je fais, je le fais pour moi et par suite de la conviction qui m’anime. Je ne le fais pas pour les autres. Voici ce que je dis à mon frère Guillaume : Si ce que j’ai fait te déplaît jamais, change-le à ton gré ! » Et le chancelier, interrompant le roi, répondait : « Il y a des choses qui, une fois faites, sont irrévocables ! .. »

Cette conversation secrète, qui peut passer pour un curieux épilogue des fêtes bruyantes de Stolzenfels, durait plus de deux heures. Le roi, en prenant congé du chancelier, « l’embrassa à l’étouffer. » Frédéric-Guillaume IV ne savait pas que ce qu’il préparait, ce qu’il venait de laisser entrevoir, c’était la fin de la vieille Prusse, le commencement d’une Prusse nouvelle, que c’était aussi sans doute la fin de la politique de 1815 en Allemagne. Le chancelier le savait ou il s’en doutait ; il voyait sous la forme constitutionnelle comme sous la forme de l’union douanière l’ambition prussienne s’essayant à un rôle nouveau. Il ne soupçonnait pas la sincérité du roi, il croyait à sa légèreté ; il était persuadé qu’avec lui il fallait s’attendre à de l’imprévu, qu’on entrait dans l’ère des hasards, et, en quittant Stolzenfels, il écrivait à l’archiduc Louis : « Les jours qui viennent de s’écouler m’ont laissé une impression de tristesse. Je ne puis mieux définir le sentiment que j’éprouve qu’en employant une expression dont je me suis déjà servi : ce que je viens de voir me appelle la Danse macabre de Holbein. Le roi, entouré de la suite la plus brillante, a montré une bonté parfaite et une humeur charmante ; mais dans son entourage règne une inquiétude visible. Tel est aussi le sentiment qui agite tous les hôtes illustres de Coblentz, ainsi que le public des bords du Rhin. Tout le monde se demande ce qu’un avenir prochain pourrait bien nous réserver, et personne n’a confiance dans les événemens futurs… »

Dès lors, les affaires de Prusse n’étaient pour M. de Metternich qu’un épisode révolutionnaire de plus dans le mouvement du temps. Il les suivait avec un dédain assez léger quelquefois, peut-être par instans avec le secret espoir d’arrêter le roi, de réveiller en lui l’orgueil du prince absolu, le plus souvent avec le sentiment inquiet de son impuissance. Il ne croyait pas précisément à un