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français le pressait de prendre l’initiative, de marcher, en lui promettant de le suivre, M. de Metternich croyait voir un piège dans ce conseil. « Si des forces autrichiennes, disait-il, entraient en Suisse pour être suivies par des forces françaises, l’entrée de ces dernières prendrait irrémissiblement l’apparence d’une force française dirigée contre l’action autrichienne ; l’événement serait la reproduction de celui d’Ancone… Nous ne donnerons pas contre cet écueil… » De même dans les affaires d’Italie, plus graves encore que celles de la Suisse. La monarchie libérale de Juillet, représentée par M. Guizot, et la vieille Autriche paraissaient avoir fait alliance sur un point : elles s’entendaient sur la nécessité de maintenir la paix des états par le respect des traités au-delà des Alpes comme partout. Au-delà, ni les positions ni les politiques n’étaient et ne pouvaient être les mêmes. M. Guizot se flattait toujours de voir se dégager des agitations italiennes, un peu sous l’influence française, une politique de progrès libéral et de « juste milieu, » compatible avec l’indépendance des princes comme avec la paix. M. de Metternich ne doutait pas de la sincérité et des bonnes intentions du ministre français ; il croyait peu à son pouvoir, pas du tout à son rêve d’un « juste milieu » italien. Le regard fixé sur Rome et sur Florence, sur Turin et sur Naples, il démêlait, sous l’apparence de simples réformes intérieures, un mouvement révolutionnaire et national près d’emporter les princes, conduisant fatalement à la guerre contre l’Autriche. Le chancelier, en homme pratique, voyait ce qui le menaçait ; M. Guizot voyait ce qu’il désirait. A travers tout cela, lord Palmerston, en haine de la France, par ressentiment des mariages espagnols, souillait partout le feu, et le résultat était qu’en Italie comme en Suisse, les événemens se précipitaient.

Un jour, à ces momens extrêmes, dans une conversation intime où M. de Metternich et notre ambassadeur, M. de Flahault, s’entretenaient de la gravité des choses, prévoyant déjà pour les deux puissances la nécessité de soutenir ensemble le pape, le chancelier disait d’un ton assez mélancolique : « L’Autriche ne peut se charger seule de la besogne, car vous arriveriez avec un nouvel Ancone, — toujours le souvenir d’Ancone ! — La France, si elle s’avise d’agir seule, sera paralysée par l’Angleterre. Les deux cours allant ensemble, le parti libéral, réuni aux radicaux, chassera M. Guizot, parce qu’il sera accusé de vouloir renouveler avec M. de Metternich la sainte-alliance ! .. » On en était là vers la fin de l’année de 1847 !


VI

On sentait l’ébranlement partout, et, chose plus frappante, là même où M. de Metternich avait si longtemps déployé son